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Le Giro vu de mon canapé (2018)

28 mai 2018

Dernières étapes : Une spirale sans fin

UNE SPIRALE SANS FIN

DIX-NEUVIEME ETAPE : Venarie Reale - Bardonecchia (Jafferau) (181km)
VINGTIEME ETAPE : Susa - Cervinia (214km)
VINGT ET UNIEME ETAPE : Roma - Roma (118km)

Il m’aura fallu trois jours pour reprendre le clavier et tenter de résumer ces trois dernières étapes et les sentiments qui les accompagnent. En relisant les dernières lignes de mon précédent article, je ne peux que constater que j’avais eu le nez creux. Le Colle delle Finestre a bel et bien été le théâtre d’une étape hallucinante. Inutile de ménager un suspense anachronique, Christopher Froome est le vainqueur du 101ème Giro d’Italia. La malédiction Sky est abolie. Menacé d’être mis à la porte, Froome est revenu par les Finestre.

Je reviens à mes sentiments et j’ai du mal à les analyser, à les comprendre. A l’arrivée au-dessus de Bardonecchia, sur la petite route du Jafferau, alors que le monde du cyclisme assistait incrédule à l’un des plus bel exploit de ce sport, à l’une des plus incroyables batailles chevaleresques des Grands Tours, j’avais le ventre noué, et les larmes aux yeux. Je me sentais incapable de m’enflammer. Trop sonné par le déroulement invraisemblable de la course. Chistopher Froome avait réalisé une chevauchée digne des légendes de ce merveilleux sport. J’aurais dû convoquer des images en noir et blanc qu’un Jean-Paul Ollivier s’évertue à transmettre depuis 50 ans, et qui fatalement s’imprègnent en nous, comme si nous les avions réellement vécues. J’aurais dû comparer Froome aux Gino Bartali, Fausto Coppi, Charly Gaul. J’aurais dû le comparer à ces Campionissimi, tant les images de ce maillot blanc gravissant les pentes en terre du Colle delle Finestre, ce petit point blanc isolé au milieu de l’immensité démesurée de la montagne et de ses plaques de neige salies de boue, tâchées de terre, ressemblaient à ces vieilles images en noir et blanc.

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J’en ai été incapable, et cette incapacité à croire ce que je venais de voir, m’a submergé d’une immense tristesse. Tous les amoureux de la petite reine ont sans doute été touché comme moi. Cette victoire de Christopher Froome acquise après un raid solitaire de quatre-ving kilomètres, laisse un mauvais goût dans la bouche. Quatre-vingt kilomètres où le leader des Sky n’a jamais donné le moindre signe de faiblesse, malgré son attaque violente et son effort prolongé sur les 9km des routes non asphaltées du Colle delle Finestre, Cima Coppi à 2 178m ; malgré les 16km de faux plat montant vers le Sestrières où bien souvent l’homme isolé après les Finestre souffre dev sa solitude ; malgré les 20km en faux plat descendant de la vallée d’Oulx nécessitant l’emploi d’un énorme braquet ; malgré la remontée vers la ville frontière de Bardonecchia, 15 km où les coureurs ont emprunté l’autoroute du Fréjus, souvent vent de face ; malgré enfin, l’ascension finale, une pente de 7km autour de 9%. Jamais le britannique n’a paru perdre pied, finissant même mieux que ses poursuivants. Cette impresa d’une autre époque m’a laissé pantois, et l’atmosphère est devenue de plus en plus pesante, voire malsaine.

 

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Aurais-je eu le même sentiment si un Vicenzo Nibali avait dominé de la même façon ? Après tout, lors de sa dernière victoire en 2016, il avait fait basculer le Giro en deux jours. Certes, l’exploit était de taille, mais il n’avait face à lui qu’un très jeune Kruijswijk – dont la chute dans le Col Agnel le condamna, et encore plus tendre Chaves qui ne pouvait pas rivaliser dans la Lombarde avec un Nibali toujours coriace en troisième semaine. N’empêche, il faut se poser la question, au moins pour ne pas sombrer dans la mauvaise foi et tenter de rester intellectuellement honnête – ce qui est très difficile quand on parle de sport, la subjectivité étant la norme.
C’est pour ne pas écrire sous le signe de la frustration que j’ai attendu aujourd’hui pour publier cet article – pour d’autres raisons également par ailleurs.

Après tout, Yates cette année, comme Tom Dumoulin l’année dernière, ont eux aussi été soupçonnés de tous les maux. Le problème d’un Christopher Froome c’est qu’il domine tellement les courses à étapes, avec cette faculté à être « scientifiquement » prêt le jour J, que son règne agace, perturbe, énerve. Ce qui n’est pas nouveau, tous les grands ont eu leurs détracteurs, mais Froome arrive après les années Lance Armstrong et les amateurs ne sont pas disposés à revivre les mêmes errements. Nous sommes tous dans l’expectative de savoir où ranger le natif du Kenya. Dans le Panthéon du cyclisme, surtout après la démonstration ahurissante des Finestre, ou dans le camion poubelle aux côtés des américains Armstrong et Landis – même si bien d’autres pourraient gravir les marches de ce véhicule ?


Ce doute nous ronge, nous prive des émotions que l’on aurait du avoir. On nous vole notre passion. Cette victoire dans la controverse est d’autant plus terrible pour ce sport, que les suiveurs s’accordaient ces derniers temps pour louer les efforts qu’avait fait le monde du vélo pour légitimer les performances. Cette soudaine et nouvelle suspicion est un véritable coup d’arrêt pour sa crédibilité. Je n’ose même pas imaginer que certains puissent éventuellement tricher avec un moteur... ce serait la mort de ce sport. Il y aura toujours des gens sur le bord des routes, bien entendu, mais un peu comme il y a du public pour un match de catch, ou pire, on viendra toujours camper pendant des heures sur un bout de bitume comme on va voir le défilé du 14 juillet. Le vélo sera devenu un spectacle traditionnel, une fête nomade, un festival itinérant, on oubliera la dimension sportive de l’événement.


Et pourtant... dans l’étape reine de Bardonecchia, après l’abandon loin des caméras de Fabio Aru, on a souffert le martyr avec Simon Yates, l’accompagnant dans sa dérive. Parce que Yates avait encore le maillot rose bien accroché sur son dos quand les premières pentes delle Finestre se sont présentées sous ses roues. Les Sky étaient déjà en tête du peloton et étiraient le groupe en file indienne. Aussi soudainement que ses attaques sont franches et sèches, Simon Yates perdit contact avec le peloton encore bien fourni. Un mètre, puis trois, puis dix, puis...le néant, celui qui se baladait sur une jambe pendant deux semaines était désormais relégué au rang d’un médiocre grimpeur. Il ne donnait même pas l’impression de se battre, il se résigna immédiatement, perdant presque une minute au kilomètre. Comme son coéquipier Chaves à Gualdo Taldino, Yates s’enfonça dans les profondeurs anonymes du classement. 38mn à Jafferau, 45mn le lendemain à Cervinia. Maillot rose à 48h de la fin du Giro, il finit 22ème à 1h 15’.

 

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Froome élimina sans effort un premier adversaire. C’est le français Elissonde qui mit le britannique sur orbite, une dernière accélération sur les premières mètres de sterrato et Froome mit en route son frullino. Dumoulin sortit de sa roue le dernier, la cadence de Froome était trop élevée. Bye bye l’extra-terrestre, ils le reverront sur le podium.

 

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Pozzovivo s’essaya aussi à suivre un moment, mais il était en surrégime, il s’écrasa sur son vélo, et laissa filer devant lui un petit groupe. Tom Dumoulin, les deux sudaméricains Lopez et Carapaz qui se sont sans doute fiancés durant ce Giro tant ils se sont marqués à la culotte pour la lutte pour le maillot blanc, et les deux FDJ, le suisse Sebastian Reichenbach et son leader Thibaut Pinot retrouvé. C’était une belle surprise de voir le français survolté, animé par une volonté hors norme, conscient d’être acteur d’une étape d’anthologie.

 

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Pozzovivo, sans véritables alliés, sans véritable panache non plus, se résigna rapidement dans la remontée poussive de Sestrières. On le vit se garer en queue du petit peloton dans lequel il naviguait à deux minutes du groupe Dumoulin, s’en était terminé pour ses ambitions de podium. Son manque d’abnégation lui coûta peut-être ce rêve. Le lendemain, à l’arrivée de Cervinia, il se reprit et termina avec les meilleurs.

Le Val D’Aoste enterra les ambitions de Thibaut Pinot. Lui qui fut tellement preuve de bravoure la veille, ne résista pas à la dernière étape exigeante de l’épreuve. Dans le col de Saint-Pantaléon, avant-dernier du Giro, le français qui était encore troisième du général grâce à son exploit de la veille, s'écroula brutalement. Littéralement à l’agonie, titubant sur le vélo comme un homme ivre, termina l’étape dans le grupetto, tellement loin des derniers survivants du général. Les images furent difficiles à voir, sa défaillance restera une tragédie indélébile de cette course. On avait mal pour lui. A bout de force, son corps le lâcha, il fut hospitalisé le soir même pour une forte fièvre et une déshydratation. Comment ne pas saluer ce garçon qui est allé au bout de soi, dépassant ses limites. Parfois, c’est aussi cela le vélo. Ce brusque anéantissement des forces.

 

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Presque au même moment, c’est un autre Pino qui a été hospitalisé. Mon père est encore à l’hôpital. Vous imaginez mon inquiétude, c’est aussi la raison pour laquelle j’écris cet article un peu tard. Mon père, c’est celui qui m’a inculqué cet amour du vélo, je me suis nourris de ses récits sur les Géants de son époque, ceux que je n’ai pas pu voir mais qui existent dans mes souvenirs grâce à lui. Papa malgré cette descente aux enfers du vélo, est toujours resté un fidèle et averti spectateur, et si l’enthousiasme du supporter s’est un peu envolé dans les limbes de l’EPO, il n’en a pas moins toujours été admiratif de ces hommes qui font l’un des sports les plus difficiles qui existent. Pinot en est l’exemple parfait. Je suis un peu fébrile en écrivant ces mots, espérant un rapide rétablissement à papa, on a encore quelque courses à commenter et à voir ensemble. Nos discussions vélo sont un des rouages de mon moteur intime, elles me servent à huiler ma machine, qui en a bien besoin tant elle peut se gripper.


Mais revenons sur l’étape des Finestre. Froome caracolait sur les sentes boueuses du col, il apercevait à chaque lacet, le groupe des cinq un peu plus bas. On avait beau douter, on ne pouvait que s’émerveiller du spectacle. La montagne accouchait d’une dramaturgie à son paroxysme, elle multipliait les intrigues. Car Froome n’avait qu’une quarantaine de secondes d’avance à la Cima Coppi.  Le problème pour Dumoulin et Pinot, c’est que Carapaz et Lopez, ne voulaient pas collaborer dans la poursuite contre Froome, obnubilés par leur marquage.

Surtout, Sebastian Reichenbach, s’il devait être précieux pour Pinot et du même coup Dumoulin, s’est avéré un piètre descendeur. Le hollandais admit avoir commit une erreur à l’attendre, selon lui, il descendait comme une « vielle grand-mère ». Pris au piège par le jeu maléfique des deux jeunes sudaméricains, Pinot de peur de se faire contrer au final, s’échappa lui-aussi des relais petit à petit. Il n’y avait donc plus que le suisse et le hollandais pour rouler derrière le britannique. Les tergiversations et autres ont fait gonfler l’avance de Froome, là où logiquement, il aurait du perdre du temps. Il entama donc la dernière difficulté avec plus de 3mn d’avance, qu’il parvint à conserver malgré les accélérations des Carapaz, Lopez et Pinot. Dumoulin se contentant intelligemment de monter au train ; de lisser son effort. Mais il manqua à Dumoulin quarante secondes pour s'emparer du maillot rose. Peut-être le temps perdu à attendre le trop tendre Reichenbach.

 

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Dumoulin fit tout de même honneur à son rang lors de la dernière ascension du Giro, la longue et monotone montée vers Cervinia. Sur des pentes qui lui conviennent, Dumoulin tenta plusieurs fois d’accélérer, de sortir Froome de sa roue ; mais c’était lui demander de gravir le majestueux Cervin qui les dominait, en sandales. L’anglais répondait du tac au tac, se reportait vers l’avant, montrant qu’il était imbattable. Un dernier coup, Dumoulin debout sur les pédales mit toutes ses dernières forces dans la lutte, quand Froome le contra, on le vit secouer la tête, se soumettre, abdiquer. Nos encouragements devant la télé avec Ivann n'y feront rien. S’en était terminé de la bataille, Froome empochait le pactole, se permettant même de sprinter  pour une 6ème place, pas la meilleure façon d’honorer son rival.

 

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Dans le match un éxaspérant entre Carapaz et Lopez, deux coureurs toutefois promis à un bel avenir dans les courses à étapes, c’est le colombien qui rafla la mise. Carapaz, enfin à l’attaque, ne réussit pas à sortir Lopez de sa roue, et suite à l’effondrement dramatique de Pinot, il était invité sur le podium du Giro, avec étonnement et sans coup d’éclat.

A Cervinia, le basque Mikel Nieve, dernier survivant d’une longue échappée, consolait par une victoire l’équipe de la Mitchelton-Scott, orpheline des ses deux leaders écartés de la course au maillot rose.

 

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Mon protégé Formolo terminait le Giro à une nouvelle 10ème place. Il pouvait encore regretter sa défaillance sur le volcan sicilien. Maintenant qu’il a prouvé sa régularité et sa capacité à tenir les trois semaines, il lui faudra désormais peser sur la course, l’influencer.

 

Influencer la course. Pour Froome, c’est un sacerdoce. Lors de la parade finale dans les rues sinueuses de Rome, sur un circuit faisant la part belle aux merveilles de la cité éternelle,  le sympathique Froomey s’est transformé en Empereur tout puissant. Estimant le circuit trop dangereux, en patron tout puissant il parvint à faire geler les temps de la course à sept tours de la fin.

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Un petit peloton avec les hommes du général fit alors une promenade touristique dans les rues de Rome, plus de 10mn derrière les équipes qui disputaient une sprint enlevé de haute lutte par Sam Bennett, devant un Viviani qui manquait tout de même la plus belle.

 

 

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Drôle de final ! On était pas loin d’une mascarade. S’il en fallait encore, cette péripétie ressemblait à la goutte d’eau faisant déborder le vase. Ce maillot rose avait si peu d’éclat que l’allégresse finale se transformait en amertume générale. Les larmes de joie de Chris Froome avec le trophée du Giro sont-elles sincères, garantissent-elles la réalité des forces en présence ? La coupe du Giro, cette spirale sans fin que le vainqueur tenait dans ses mains est le symbole le plus absolu de ce qu’est devenu le cyclisme, une spirale de doutes sans fin...

 

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Au même moment, je souffrais avec tous les grenoblois pour conserver ce petit et minuscule but d’avance qui allait envoyer le GF 38 en Ligue 2, après deux matchs de barrage suffocants. Enfin, une nouvelle réjouissante et réelle dans ce week-end d’incertitudes. Malgré les débordements du Stade des Alpes, j'étais encore à vibrer devant le match ; j'imagine que lorsque le peloton passera près de chez moi, pendant le Duaphiiné Libéré, je serai sur le bord de la route... à applaudir... comme dans une spirale sans fin...

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25 mai 2018

Dix-septième et dix-huitiéme étapes : L'alerte Rose

L' ALERTE ROSE

RIVA DEL GARDA - ISEO (155km)
ABBIATAGRASSO - PRATO NEVOSO (196km)

Et de quatre. Elia a écarté la main et signifié avec ses doigts le nombre de sprints vainqueurs. Comme Fernando Gaviria l’année dernière, l’autre bombe de Quick-Step. La formation belge, sans véritable leader pour le général, fait de chaque étape une classique, sa culture de la gagne fait le reste. Même si le lauréat reste le même, la victoire est le résultat final d’un travail d’équipe.
A Iseo, l’orage s’était abattu soudainement sur le dernier kilomètre, où la vitesse moyenne à plus de 46km/h témoignait d’une course animée. Il faut dire que si vous trouvez De Marchi, Luis Sanchez, Poels, ou Hermans dans une échappée, le peloton ne pourra pas commenter les paysages. Des très beaux paysages. La course jouait en effet à saute-mouton entre les plus petits des Grands Lacs italiens. Les coureurs n’avaient qu’à lever les tête pour apercevoir des sommets encapuchonnés de nuages sombres, menaçants, présageant peut-être le prochain week-end alpin où nous apprendrons le dénouement de la course. Les lacs étaient enchâssés, blottis dans leur écrin de montagne. Heureusement pour Viviani, la dernière bosse était placée trop loin de l’arrivée pour le priver d’un nouveau sprint. Dommage pour les autres, les Quick Step se rate rarement quand ils ont des occasions, et comme les serial buteurs, à la manière d’un renard des surfaces comme pouvait l’être l’éternel Pippo Inzaghi, Elia Viviani profitait du boulot impeccable de ses milieux de terrain, réceptionna la passe décisive de Fabio Sabatini, et n’eut plus qu’à pousser la ballon au fond des filets. Simple formalité tant il a dominé les autres prétendants.

 

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Dimanche à Rome, Viviani aura l’occasion d’égaler dans le Panthéon des sprinteurs le score de Cavendish, cinq victoires en 2013. Sans embûches sévères dans les ascensions des grands cols qui l’attendent,  il sera en maillot cyclamen devant le Colisée. Elia sera sans doute honoré comme l’étaient ses lointains ancêtres, les gladiateurs. Il fera sans doute oublier pendant un temps que l’Italie vit en ce moment même une période politique des plus étranges, avec l’alliance contre nature de l’extrême-droite et du parti populiste des 5 Stelle, le tout sous la bienveillance de Berlusconi. Un empereur en déclin mais encore assez influent pour dicter l’avenir du pays. Sûr que ce bon vieux Gino se sent trahit, là où il est.

Premier opus d’un triptyque alpin qu’on annonce démentiel, l’arrivée à Prato Nevoso devait nous donner une première indication sur la forme des leaders. J’allai commencer cet article en me vantant du titre que j’avais trouvé, « Alerte Rose », quand je vis le jeu de mot déjà utilisé par Philippe Brunel sur l’Equipe. Merde ! En même temps, si je Jupétérise mon discours, je peux éventuellement être fier de ce parallèle. J’aime la plume de Brunel. Je me délecte toujours des écrits de ce journaliste qui transmet admirablement la vie du peloton. On lit les compte rendus de Brunel comme on dévore un roman. Il y a toujours une belle histoire dans une course cycliste, un scenario sans cesse renouvelé, un peu comme dans une très bonne série, avec des personnages qu’on apprend à connaître, certains récurrents, d’autres qui reviennent de temps en temps, des personnages auquel on s’attache, malgré soi. Le journaliste parvient à convoquer nos souvenirs. Brunel sait retranscrire ce milieu avec poésie, il plonge ses lecteurs dans une douce atmosphère mélancolique, avec une sensibilité à fleur de peau. Il parsème ses résumés d’adjectifs fleuris, imaginatifs, aériens, donnant à ses écrits une rhythmique qui lui est propre, qui colle parfaitement à l’allure d’une course cycliste. Les phrases s’étendent langoureusement à l’imparfait, comme le peloton qui s’étire sur les routes, pour mieux nous surprendre avec une accélération brutale au passé simple, comme lors de l’attaque d’un leader. Ses descriptions précises, ciselées, des éléments, du paysage, du temps, de la route, du faciès ou de l’attitude des acteurs de la course, nous entraînent au cœur du peloton, font de nous des spectateurs privilégiés, comme si nous avions les fesses posées sur une des nombreuses motos suiveuses et que nous avions l’honneur d’être les invités du jour. Il y a toujours une dramaturgie dans ses rédactions, il réussit en quelques lignes à faire de son article une petite nouvelle qu’on lit avec gourmandise.

Je suis sûr que Philippe Brunel, comme moi-même, avait peur de s’ennuyer un peu dans cette fin de Giro. Simon Yates tellement supérieur aux autres jusqu’ici, Tom Dumoulin bien placé sur le podium, le suspense résidait surtout dans la bagarre pour la médaille de bronze.

Je me disais pourtant que l’étape de Prato Nevoso pouvait favoriser Tom Dumoulin. Après une traversée de la plaine lombarde et piémontaise, le Giro léchait les pieds des vignobles extraordinaires du Monferrato, passait par la belle Asti, et se rapprochait des Alpes Ligures. Tout à plat. Parcours classique qui se terminait par 14km de grimpette régulière à 7% de moyenne.

 

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Loin des pentes du Zoncolan, sans répétitions de difficultés. Alors, on repensait forcément à la victoire en rose de Dumoulin l’année dernière, dans une configuration assez similaire, au sanctuaire d’Oropa. D’ailleurs, on était pas très loin d’un autre sanctuaire, celui de Vicoforte, proche de Mondovi, cette petite cité médiévale perchée sur un monticule qui semblait attendre tranquillement la bagarre annoncée. On se dirigeait vers un statut quo, on était à moins de deux kilomètres de la ligne blanche, la vingtaine de coureurs en tête du classement se marquaient au cuissard. Seul Lopez Moreno suivi à quelques mètres par son rival pour le maillot blanc, l’équatorien Carapaz, s’était ébroué et prenait quelques secondes d’avance et le conservaient au sommet.
Près de la ligne, trois rescapés d’un gros groupe que le peloton avait laissé prendre plus de14mn, se jouaient une victoire de prestige. Parmi eux il y avait un Quick-Step, pas de chance pour Cattaneo et Plaza, il s’agissait du très prometteur allemand Schachemann qui se débarrassa dans les 500 derniers mètres de ses compagnons pour lever les bras. Encore une victoire pour la formation belge. Il y en aura d’autres.

 

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Sur une chaussée large à la pente modeste, le hollandais prit ses responsabilités, il accéléra sèchement, mais il n’était pas aussi puissant qu’à Oropa. Yates, Pozzovivo réagissaient immédiatement, le hollandais se rassit, résigné. Pinot était déjà distancé, il semble bien que le français soit sur une pente glissante. On vit alors Froome qui revenait un peu de l’arrière déboiter à la droite de ses adversaires, debout sur les pédales, la tête penchée vers l’avant, il secoua le petit groupe. C’est Pozzo, décidemment réactif, à défait d’être entreprenant, qui sauta le premier dans sa roue. Dumoulin trouva la force de s’accrocher au minuscule maillot rouge. Et Yates ? Pour la première fois on le vit reculer, en difficulté. Il avait même du mal à suivre les coureurs de second rang comme Bilbao, Konrad ou Formolo. Hier, Ivann, qui a un petit faible pour Dumoulin, était déçu en prenant conscience que son favori avait peu de chance de doubler sa victoire. Je lui dis alors que même si c’était vraisemblable, le leader aurait un jour de moins bien. C’est ce qu’il se passe souvent dans les Grands Tours. Il devrait donc sauter sur l’occasion quand elle se présenterait. Et les pentes de Prato Nevoso se prêtaient parfaitement aux qualités de rouleurs hors norme de Dumoulin. Je n’ai pas été devin, mais la course ne m’a pas donné tout à fait tort.

 

 

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Yates n’a pas été renversé au milieu des immeubles aux bardages en bois, pour ressembler à des chalets de montagne. Prato Nevoso est une station de ski qui se retrouve nue,  sans âme, quand la neige disparaît. Vue du ciel, elle ressemble à toutes les stations crées dans les années 60/70, elle a des faux airs de Chamrousse. Yates, vidé lui aussi, avec le visage aussi triste que les habitations désertes, conservait une poignée de secondes sur Dumoulin. 28’’ qui ressemblent à une peau de chagrin, même si sur le papier, les deux étapes qui arrivent semblent mieux lui convenir. Mais attention, les efforts consentis jusque là pourraient commencer à lui peser lourdement, l’effet boomerang ne semble pas loin. Ce ne serait pas la première fois que le Giro choisirait son lauréat dans un spectaculaire retournement de situation. Au fond, les 2’43’’ d’un Pozzovivo qui court la bouche fermée depuis Jérusalem, ou les 3’22’’ de Froome dont la forme en dent de scie ne permet pas de se faire une idée définitive de sa force, ne paraissent pas si incolmatables si on regarde le profil des deux prochaines étapes. Mais il faudra pour ça une offensive de grande envergure. La victoire à Rome pour les suivants se jouera loin des arrivées. Il faudra fatiguer le puncheur, l’épuiser par une allure élevée, lui faire mordre la poussière sur la terre battue du Col delle Finestre, ne pas le laisser respirer dans les pentes moins ardues. Il faudra le toucher mentalement, lui faire prendre conscience qu’il peut tout perdre alors qu’il a dominé jusque là avec arrogance, il peut alors s’écrouler psychologiquement et laisser filer le maillot rose. Les autres pourront alors se battre entre eux...

Les hypothèses sont nombreuses, et c’est là tout l’intérêt de cette fin de ce 101ème  Giro. On ne va pas s’en plaindre.

 

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23 mai 2018

Seizième étape : Trento - Rovereto (34km clm) Le temps c'est gagnant

LE TEMPS C'EST GAGNANT

 

On sait depuis longtemps que l’on ne peut pas gagner un Grand Tour sans être, au minimum, un honnête coureur contre la montre. Aussi, quand on dévoile le tracé d’une course, on vérifie rapidement le nombre de kilomètres que les coureurs auront à défier contre le temps. Il fut une époque où les organisateurs n’hésitaient pas à empiler ces kilomètres. Je me souviens d’un Tour dans les années 80 avec des épreuves de plus de 80km. C’était le début des vélos plongeants, des casques profilés, des roues lenticulaires, des lunettes ergonomiques, et des combinaisons moulantes. C’était aussi une époque où ces distances écartaient d’emblée les grimpeurs de la victoire finale, où mes favoris, mes héros, mes idoles, se cassaient les dents sur des développements bien trop gros pour leurs frêles silhouettes et leurs maigres jambes.

Aujourd’hui, les traceurs de Grands Tours – mais aussi des autres courses à étapes – ont réduit les distances. La course devient plus équilibrée, même si le contre-la-montre reste un juge de paix incontournable. Les sentences qu’il prononce sont souvent définitives, les différences qu’il fait sont plus importantes que les arrivées au sommet, aussi dures soient-elles. Clairement, un bon chronoman est largement avantagé par rapport à un bon grimpeur. On peut tourner les pages du Grand Almanach du cyclisme, les vainqueurs des Grands Tours ont rarement été des limaçons dans cet exercice. Mieux, ceux qui ont empilé les victoires, les Campionissimi, ont toujours dominé leurs adversaires quand ils se sont retrouvés seuls sur la route. De Coppi à Anquetil, de Merckx à Hinault ou bien encore Indurain (43 succès à eux 5), l’horloge a toujours été l’allié des champions. Rien de plus naturel en somme, celui qui va le plus vite contre le chronomètre est forcément... le meilleur. Il n’y a pas de corps à corps, de sens tactique, ou de stratégie d’équipe, juste le besoin d’écraser les pédales plus fort que les autres et d’avaler le bitume le plus vite possible. L’archétype de ces coureurs semble un peu plus fragile en montagne, ils ne sont pas des scatisti, ces grimpeurs ailés capables de placer des démarrages secs et violents sur les plus forts pourcentages,  ces Pantani, Herrera, Bahamontes, Gaul, Ocana ou Contador qui ont fait rêver des générations de passionnés. Les rouleurs vont en montagne comme ils vont contre le temps, ils maitrisent les secondes, courent en véritable métronome, récitent leur partition sans à coups, sans affolements, sans répondre aux insolents grimpeurs, rattrapant souvent les arrogants tout près du sommet, ou leur accordant quelques secondes d’avance mais toujours à portée de vue, comme un parent laisse à son gamin un peu de liberté, quand il le laisse vagabonder dans un parc public, tout en gardant un œil sur lui. 

Ce Giro après le prologue initial offrait aux bons rouleurs l’opportunité de creuser l’écart ou de se repositionner avec un chrono de 34km entre Trento et Rovereto. Placé entre les deux week-ends montagneux, il devait rebattre les cartes et influencer la dernière semaine alpine. L’an dernier, le Giro avait été plus généreux avec spécialistes. On se souvient que Tom Dumoulin avait pu faire la différence dans cet exercice, dominant ses adversaires dans les vignes de Montefalco (39km) puis leur assénant le coup de grâce dans le chrono final (29km), endossant la Maglia Rosa sous le Duomo  de Milan. Sans présager du résultat final, cette vingtaine de kilomètres en moins dans cet exercice sera peut-être ce qu’il manquera au néerlandais pour faire le doublé.

 

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A Rovereto, Tom Dumoulin, comme prévu, a dominé tous ses adversaires direct. Pourtant, il ne dégageait pas sa puissance tranquille habituelle sur ce parcours taillé pour lui. La machine bien huilée du Champion du Monde de la spécialité était moins fluide. Son dos était plus courbée, ses épaules moins stables, l’Arc en Ciel était moins éclatant, plus pâle, à l’image des nuages qui s’épaississaient au-dessus du Giro. D’ailleurs, Tom Dumoulin ne parvenait pas à gagner l’épreuve.

 

 

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C’est Rohan Dennis, revanchard après sa courte défaite à Jérusalem, qui montait sur le podium pour recevoir les baisers des Miss. Il devançait le spécialiste allemand Tony Martin. 22’’ séparaient Dennis de Dumoulin. Cet écart marque la relative faiblesse du jour – et peut-être du moment – du vainqueur sortant. Dennis est un vrai spécialiste mais il joue aussi le classement général - il monte d’ailleurs à la 6ème avec sa victoire - il s’est donc accroché comme Dumoulin dans la montagne. Le hollandais n’est donc pas battu par des gars « bâchant » pour se préserver sur le chrono. C’est ce qui nous faire dire qu’il manque donc un petit quelque chose à Dumoulin. Sa nervosité dans l’aire d’arrivée trahit d’ailleurs sa grosse déception. A n’en pas douter, il se voyait en rose au terme de ce chrono. Son tableau de marche était bouleversé, malgré tout, il reprend du temps à tous.

 

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Transcendé par son beau maillot rose, bien aidé par sa condition physique actuelle, Simon Yates réussit un contre-la-montre tout à fait honnête. Il termine 20ème, à 1’37’’, ne perdant donc que 1’15’’ sur Dumoulin, et conservant pour 56’’ un maillot que beaucoup lui avait ôté un peu trop tôt. Il semblait à sa place, vu les circonstances. Les trois dernières arrivées en montagne placent le jeune anglais en position idéale pour triompher devant le Colisée.

 

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Domenico Pozzovivo, sans faire la course de sa vie, limitait les dégâts, perdant 2’20’’. Bien mieux que les autres grimpeurs, comme Carapaz ou Lopez Moreno, ce dernier confortant son maillot blanc en dominant son rival de 10’’ à peine. Ils perdaient toutefois presque 3’ sur la tête, glissant au général à la 7ème et 9ème place. Le podium s’éloignaient pour les deux jeunes sud-américains.

 

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Le grand perdant à ce jeu-là, répétant ses contre performances de 2017, c’est Thibaut Pinot. A l’arrêt, le français sombrait à une improbable 66ème place pour un prétendant au podium. Ce n’est pas la première fois que Pinot passe une très mauvaise journée au lendemain d’une journée de repos. Lui-même en parle depuis un moment et sait les difficultés qu’il éprouve à se « remettre en toute ». Je me demande désormais dans quelle mesure il ne fait pas un blocage psychologique. De toute façon, sans amélioration notoire dans cet exercice, je ne vois pas comment Pinot pourra rêver à l’avenir d’un nouveau podium dans un Grand Tour. Sa faiblesse dans le contre-la-montre semble rédhibitoire.

 

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La bataille contre le temps est trop décisive pour gagner la guerre. Pour preuve, Yates qui a dominé de la tête et des épaules ces deux semaines ne possède même pas une minute d’avance sur Dumoulin, plutôt en retrait depuis Jérusalem. Une minute glanée surtout avec les bonifications. Avec ses victoires et ses deux deuxième places, 32’’ sont tombées dans son panier. Malgré ses attaques pleines de punch sur des arrivées sèches qui lui convenaient parfaitement, malgré sa chevauchée osée vers Sappada, malgré le Zoncolan, l’un des cols les plus durs du monde, qu’il a parfaitement maîtrisé, Yates n’a gagné que 24 misérables secondes sur un Tom Dumoulin qui n’a eut qu’une quarantaine de kilomètres à sa convenance. Voilà l’importance du contre-la-montre... et du contrôle du peloton afin de ne pas laisser des échappés manger les bonifications offertes aux premiers des étapes.


Dans cette catégorie de grimpeurs en grosse difficulté face au chrono, on pouvait inclure Fabio Aru. S’il parvient parfois à limiter la casse, à l’instar d’un Pozzovivo, le sarde est vraiment limité dès qu’il faut chausser des roues lenticulaires. Hors du jeu depuis le début du Giro, à la limite de l’abandon dans les Dolomites, Fabio Aru laissa toute la caravane sans voix. A Rovereto, lui qui perd généralement des minutes sur un tel parcours quand il est dans le coup au général qui plus est, passait la ligne d’arrivée en 6ème position, à 37’’ de Dennis... 15’’ derrière le Champion du monde Dumoulin. Fabio Aru à 15’’ de Dumoulin sur un c-l-m de 34km avec très peu d’aspérités, on croyait rêver ! On apprenait quelques temps plus tard qu’il était sanctionné de 20’’ pour s’être abrité derrière une voiture. Son collègue chez UAE Team Emirates, Diego Ulissi, étonnant 8ème , lui aussi étant un piètre chronoman généralement, écopant pour la même raison de 1’ de pénalité.

 

 

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Que vaut ce résultat de Aru ? On peut expliquer qu’il a bossé l’exercice cette année, on peut l’entendre. On sait aussi que les grimpeurs qui travaillent le contre la montre perdent un peu de leur qualité en montagne, cela aussi on peut l’admettre. Cette explication tiendrait la route, à mon avis, si Fabio Aru avait été dans une situation comme Pozzovivo, ou Pinot, une situation où il était là, dans le coup, même si dominé par Yates. Mais Fabio Aru était, sans jeu de mot idiot, littéralement à la rue, loin de son niveau. Il en ressortait même grandit, son courage, son abnégation forçant l’admiration, voire un peu de compassion. Il est toujours difficile de voir des coureurs en échec, se trainant tristement loin de la tête de la course, loin de leurs ambitions. On aime bien les perdants valeureux. Les histoires au goût de tragédie antique. Mais que s’est-il passé ? Comment est-ce possible dans ces conditions. On a beau tourner les choses dans tous les sens, on en arrive à deux conclusions peu glorieuses : il aurait mérité une pénalité plus lourde, voire l’exclusion, s’il a profité d’une voiture amie ; il a mis à profit la journée de repos pour recharger, on ne sait comment, des batteries à plat. Je ne crois pas à cette résurrection, pas dans un contre-la-montre, c’est trop invraisemblable.


Et Froome dans tout ça ? Celui qui est si laid sur un vélo quand il met en route son frullino se métamorphose en un styliste discreto, comme disent les italiens, dans le contre-la-montre. 5ème à 37’’, il restait largement au contact de Dumoulin et se replaçait dans la course au podium, une quarantaine de secondes derrière Pozzovivo. Quel Froome aurons-nous dans les Alpes ? Celui de la résurrection ou celui de l’enterrement ?

 

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21 mai 2018

Treizième, quatorzième et quinzième étape : Une résurrection ou deux et quelques enterrements

UNE RESURRECTION OU DEUX ET QUELQUES ENTERREMENTS

Treizième étape : Ferrara - Nervesa della Battaglia (180km)
Quatorzième étape : San Vito al Tagliamento - Monte Zoncola (181km)
Quinzième étape : Tolmezzo - Sappada (176km)

Il y a des résurrections qui laissent pantois. C’est le moins que l’on puisse dire. Les sceptiques ne sauteront pas au plafond, et malgré moi, parce que j’aimerai tant y croire, je ne parviens pas à m’emballer de ce que j’aie vu sur les pentes infernales du Zoncolan. Un peu comme je souhaiterai croire à une omnipotence divine, et mettre des cierges ou autre ex-voto dans les églises, histoire de quémander une petite grâce de rien du tout au tout puissant, juste une petite guérison express de mon cancer, je voudrais bien croire à la renaissance possible d’un champion, du champion. Seulement, même si je vais dans des églises, et que je m’enthousiasme facilement des merveilles qui s’y trouvent, je ne parviens pas à faire le parcours intellectuel qui me mènerait à m’agenouiller devant l’autel et à prier, par foi absolu, une religion qui vit un homme naître de l’immaculée conception, renaître à Pâques et faire quelques petits miracles assez sympathiques lors de belles randonnées sur le territoire qu’a arpenté le Giro au départ de Jérusalem. Si je l’avais vu de mes yeux vus, marcher sur l’eau ou changer l’eau en vin, sans doute mon discours aurait été tout autre, mais pour le moment on me demande de croire ses potes qui ont écrit des bouquins, véritables Best Seller, sur sa légende ; et ils ne sont pas tous d’accord entre eux. D’accord, je suis sarcastique, et je choque peut-être ceux d’entre vous qui me lisent (les quelques cousins, et les deux trois potes) et qui ont la foi (vous êtes pas bien nombreux), mais rassurez-vous, je respecte totalement toutes les convictions, ne pouvant de toute façon pas prouver l’inverse.


L’église était majestueuse pour cette quatorzième étape, devant les coureurs s’élevait ce que l’on considère l’un des trois cols les plus difficiles des Grands Tours, avec l’Angirlu en Espagne et le Mortirolo dans les Dolomites, le Zoncolan allait donc être le théâtre d’une des plus spectaculaires redressement de ces dernières années. A l’heure où à plusieurs kilomètres de là, notre Gigi Buffon national essuyait des larmes d’adieux (décidemment il aura beaucoup pleuré cette année) devant le public de la Juventus – on vit des panneaux Santo Subito - Wout Poels imprimait un rythme qui effrayait les initiés. Chris Froome étant bien calé dans les avant-postes, le message était clair, le Kényan Blanc était de retour aux affaires. Personne ne fut alors étonné quand il se mit en tête d’un groupe déjà fort réduit et qui se contentait de gérer la pente, à la pédale, il Frullino (le batteur, le fouet) comme l’appelle les italiens, se détacha en tête de la course. « Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir », les paroles mystiques de Thiéfaine prenaient des allures d’oracles. On assistait ébahi aux mêmes images que l’on avait l’habitude de voir sur le Tour de France. Le Britannique assommait ses adversaires avec une cadence de pédalage hors norme, avec une facilité surréaliste.

 

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A la maison, avec Angélique et Fabrice, venus partager notre repas autour de brochettes et d’un Vin de Merde (sa véritable appellation) nous ne parvenions pas à nous extasier pour cette très belle, trop belle histoire. Le pire dans tout ça, dans ce qu’il faut bien appeler la suspicion permanente, c’est que Chris Froome n’est même pas antipathique dans ces déclarations, on ne peut donc même pas le détester pour des raisons extra sportives. Seulement voilà, il est dans l’attente d’une sanction pour usage élevé d’un bronchodilatateur. Souffrant d’asthme, il bénéficie d’une AUT (l’acronyme signifie une autorisation d’usage à des fins thérapeutiques). On ne sait donc pas si une éventuelle suspension pourrait être rétroactive et lui ôter cette victoire prestigieuse, ou plus simplement encore, s’il avait le droit de courir tout en ayant « triché » auparavant. On pourra débattre sur l’apport réel de quelques milligrammes supplémentaires d’un produits somme toute banal, mais c’est surtout cette supériorité manifeste qui le rend inhumain, et donc malhonnête aux yeux du grand public. Ses plus rudes détracteurs l’accusant même d’avoir un moteur caché dans le cadre.

 

Sur les pentes du Zoncolan, Froomey a mit le turbo comme il le fait chaque été sur les routes de l’Hexagone. C’est cette impression de déjà vu qui m’a le plus gêné, le plus surpris finalement, puisqu’il y a à peine trois jours, il ne parvenait même pas à tenir le pas d’un tiers du peloton. Sur les pentes ahurissantes de l’épouvantail de ce Giro, les Sky ont refait ce qu’ils savent mieux le faire, du Sky. Wout Poels, le dévoué, répétait le rôle qu’avait Froome à l’époque où il montrait au monde entier qu’il avait une vitesse en plus que son leader Wiggins. Poels a fait toute la première partie de la montée en tête, terminant le travail par une formidable accélération afin de lancer Froome vers son renouveau et la quête d’un monument. Nous étions encore à plus de 4km du sommet, Poels sembla se ranger. Quelle ne fut pas mon étonnement quand il apparut sur la ligne d’arrivée, en septième position, à seulement 1’07’’ de son patron et quelques mètres derrière les autres cadors. Bizarre, vous avez dit bizarre ? Certes, le néerlandais n’est pas sorti de la dernière pluie, mais sa balade tranquille dans le Zoncolan a de quoi surprendre.

 

Le Zoncolan, c’est une sorte de Bastille si vous connaissez, mais pendant 10 km. Un mur à 12% de moyenne, dont des rampes à 22%. 100 000 personnes s’étaient massées dans les lacets ou sur l’espèce de cirque sommital qui faisait ressembler la montagne à un stade de football.

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Et c’est ici que Froome a décidé de commencer son Giro. J’aurais peut-être salué sa performance s’il avait suivi, s’il était arrivé à rester au contact de ceux qu’ils l’avaient battu dans le massif central italien. Mais la Sky a refait du Sky. Une maitrise de la course ordonnancé sur computer, sans aucune part d’improvisation, et une victoire qui semblait programmée de belle date. Ceci dit, on ne peut pas nier le professionnalisme des anglais, Froome étant l’un des rares prétendants à la victoire à être venu reconnaitre le Zoncolan. Les commentaires sont en revanche bien différents en France qu’en Italie. Guimard et consorts, à la télé, semblaient déjà douter ouvertement de ce renouveau, et sur les réseaux sociaux, c’était une litanie de commentaires acerbes, négatifs, et même un peu anti-british – Yates dominant par ailleurs le général. En Italie par contre, beaucoup sur les réseaux sociaux saluaient cette montée, mettant aussi l’accent sur le spectacle proposé par cette montagne. Même si, bien sûr, il y a aussi tout un lot d’ironiques professionnels.


Si on pouvait douter, à tort ou à raison, de l’impresa, on ne pouvait que s’incliner devant l’effort déployé par les coureurs pour venir à bout de ce monstre. Il fallait voir les cernes de Fabio Aru et les yeux livides, les paupières noires, de Thibaut Pinot, pour s’en convaincre. Contraste saisissant avec le visage de Froome, bien caché derrière une paire de lunettes à la teinte sombre, comme pour dissimuler son regard aux yeux des caméras.


La dernière accélération de Poels avait été le coup de grâce aux ambitions de Fabio Aru. Incapable de relever son niveau, il retrouvait son style heurté, les épaules secouées comme dans le tambour d’une machine à laver, on comprit rapidement qu’il allait encore nous offrir le spectacle d’un loser magnifique. Quelle formidable énergie ce gars met dans la défense de la moindre seconde ! Quelle abnégation ! Voilà un coureur qui me transcende par son courage. Mais le débours est énorme : 2’23’’ ! A comparer avec Poels qui lâcha au même moment après son boulot de gregario. Pour Aru, le Giro devient un terrible calvaire, un des ces drames que seul peut inventer le vélo. Dans la deuxième étape dolomitique, il fut incapable de suivre le pas du peloton. Après un dernier baroud d’honneur, une attaque improbable à 130km du but, Aru se laissa glisser à l’arrière, faillit mettre pied à terre. Ses coéquipiers l’entourèrent alors, et l’accompagnèrent jusqu’à la ligne d’arrivée. Les images de ce favori à la dérive, demandant aux caméras de respecter son malheur, écriront un des pages de ce Giro. Aura-t-il assez de force pour accrocher un nouveau dossard après la journée de repos ?

 

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Pas non plus de miracle pour mon petit protégé. Davide Formolo ne parvenait qu’à suivre son illustre compatriote, terminant dans son sillage immédiat. Tout comme le jeune Ciccone, encore un peu plus loin. On est dans les parages de la 20ème place. Bien trop loin de la tête de la course. Pour les italiens, seul le vieux Pozzo a tenu son rang. On sent que Domenico Pozzovivo tient la cadence, même s’il semble incapable de prendre la course à son compte, et qu’il semble souvent se contenter d’être là. Je reviendrai plus loin à ce sujet. Troisième à 23’’, il restait dans le coup pour le podium.

 

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Les autres ? Le maillot rose Simon Yates était encore une fois le plus impressionnant. Il jaugeait ses adversaires direct avec l’attitude d’un patron. Froome n’ayant finalement pris qu’une vingtaine de secondes d’avance maximum, il n’était pas un danger immédiat pour le général, alors, Yates prit son temps avant de placer son attaque. A son attitude, j’étais convaincu qu’il allait fondre rapidement sur le maillot blanc de Froome. Mètre par mètre, il reprenait à son compatriote. Dans le dernier kilomètre se succèdent trois petits tunnels taillés dans la roche, on s’attendait à revoir surgir les deux côte à côte. Yates n’y parvint jamais. Cédant six misérables secondes sur la ligne mais augmentant encore son avance sur ses poursuivants.

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Le lendemain, il réalisa un énième exploit en se débarrassant de ses adversaires direct dans le tapone dolomitico.

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A Sappada, Yates triomphait à nouveau et réouvrait la boîte de Pandore. Même l’Equipe titrant, « L’incroyable Yates », un certaine forme d’ironie ou de sarcasme, c’est selon. Alors que reproche-t-on à l’anglais ?  D’être anglais premièrement. Depuis les victoires de Wiggins, puis celles de Froome au Tour de France, depuis la réussite insolente de la Sky et ses méthodes de « gains à la marge », le cyclisme anglais, faible historiquement, connait en effet une apogée. Pourtant, Simon Yates, tout comme son frère, épousent une courbe assez croissante dans leurs résultats. Après Adam en 2016, Simon était maillot blanc du Tour 2017. Il prit une belle 6ème place à la Vuelta 2016. Les deux avaient déjà fait parlés d’eux dans des Tours de l’Avenir ou des courses comme le Dauphiné et Paris-Nice. Pour les suiveurs, Simon ne sort pas de nulle part, coureur complet et excellent puncheur, on lui promettait sans contexte une belle carrière. Le problème vient plutôt de la façon dont il domine ce Giro. Déjà trois étapes dans son escarcelle, plus une offerte à son équipier Chaves - qui se traine en queue de groupe désormais - et la deuxième place au Zoncolan derrière un Froome de juillet.

 

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Il restait encore 18 km pour rejoindre Sappada, dans la première étape de montagne avec une répétition de difficultés, même relativement douces quand on connaît un peu les environs ; après une première attaque vite avortée, Yates en remis une couche, avec un démarrage sec, puissant, franc. Je récriminai contre cette tactique suicidaire, certes il restait à gravir la fin du Costalissoio, un raidard de 4km, mais derrière le profil emmenait les coureurs vers la petite station de Sappada au terme d’une espèce de long faux plat montant. Un homme seul ne devait pas être en mesure de tenir la distance. Yates le fit. Bien aidé, nous le verrons, par l’attitude insensée des suivants. Ressortait alors des placards une casserole qui ternit un peu l’image du jeune britannique. Comme Froome, celui-ci bénéficie d’une AUT pour soigner de...l’asthme. Il est même contrôlé positif en 2016, les instances le condamnent à une légère suspension pour dopage « non intentionnel ». Son médecin prescripteur ayant omis de signifier son AUT aux autorités. Une histoire qui a de quoi faire tousser, et même s’étouffer certains.  

 

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Pinot en est-il ? Il n’avait pas, lui non plus, la force de peser sur la course. Sur le Zoncolan, on le vit à son visage exténué au sommet, il ne pouvait pas plus. 6ème à 42’’, c’était sa place. Heureusement, il avait trouvé un allié de circonstance dans cette fabuleuse grimpette. En véritable métronome, sans aucun à coup, les fesses calées au fond de la selle, le dos droit, un style impeccable malgré la violence de l’effort, le vainqueur sortant, Tom Dumoulin, démontrait sur ces pourcentages qui ne lui sont pas favorables toute l’étendue de son talent. Un peu comme l’année dernière sur le Blockaus, une autre arrivée à fort pourcentage, il maitrisait parfaitement ses forces et faiblesses. Il concédait 37’’ au maillot rose et se retrouve à la sortie de cette étape de montagne, à 1’24’’. Dumoulin apparait encore comme un favori potentiel pour la gagne à Rome. Toutefois, il fit une très mauvaise opération lors de la chevauchée de Simon Yates. Sur un terrain plus à sa convenance, il perdit plus qu’au Zoncolan. Pour la première fois depuis le départ, le grand batave touchait ses limites. Mardi, il devra rejeter Simon Yates très loin lors du contre la montre, parce que le britannique aura encore trois autres étapes de montagne pour inverser la tendance.

 

 

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Raisonnablement, Dumoulin et Yates devraient en débattre. Ni Pozzo, Ni Pinot, ni Lopez Moreno, excellent 5ème au Zoncolan, ou même Carapaz, ne semblent avoir la force nécessaire pour faire péter les leaders actuels, et sont surtout trop limités en contre la montre pour prétendre à la première marche du podium. Ils vont désormais lutter entre eux pour voir Rome d’en haut dans une semaine.
Hier, ils nous ont offert un spectacle des plus surréalistes. Quand Yates prit la poudre d’escampette,  ces cinq là se sont retrouvés entre eux.

 

Froome écarté du débat jusque là,  et dont la résurrection pouvait relancer sa participation à la victoire finale rentra irrémédiablement dans le rang. On revit le Froome du début, incapable de suivre même ses plus forts coéquipiers, à nouveau en souffrance sur sa machine, il perdit pied dans une portion en descente, piégé par une cassure, pas en état ensuite de revenir non seulement sur Yates qui sauta sur l’aubaine, mais pas plus sur le groupe qu’on appellera du podium. 17ème de l’étape à 1’32’’, il navigue maintenant à plus de 4’ du leader. Comment avait-il pu dominer ainsi la veille ? Cela restera tout de même une belle inconnue de ce Giro.


A cinq contre un, les poursuivants pouvaient encore largement revoir Yates qui transita au sommet du dernier col avec une vingtaine de secondes d’avance. On rejoua alors la vieille histoire du jeu de dupe, c’est à toi, c’est à moi, je t’en prie passe en premier, je suis cuit, moi non plus ! Je ne sais pas de qui est la faute originelle, j’ai vu dans la montée Pozzo faire sa grande part du boulot, Pinot le relayer puis demander immédiatement aux autres de rouler, Dumoulin serrer les dents pour suivre dans les forts pourcentages, tenter de relancer sur les plats, quémander de l’aide, puis se raviser, Pinot accélérer et laisser un trou derrière lui que combla Pozzovivo qui ne voulut par la suite plus faire d’effort, alors qu’on avait compris depuis un moment que Lopez Moreno et Carapaz ne feraient rien d ‘autre que de de se surveiller pour la course au maillot blanc dont ils sont séparés par quelques secondes, Lopez Moreno étant habillé de blanc. 

 

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Le summum du ridicule fut peut-être atteint quand sur une accélération de Carapaz dans les raidards de la fin, Tom Dumoulin montra une faiblesse inhabituelle. Il recula, perdit le contact avec les quatre autres. Là, on se dit que Pinot et Pozzovivo avaient fait le break. Certes, ils laissaient la victoire à Yates, résignés par sa supériorité, mais en écartant le hollandais, ils avaient encore une chance de figurer sur la grande boîte à Rome, peut-être même tous les deux. Que nenni ! On vit alors enterrement de première classe. Ils coururent à l’envers, se méfiant des deux jeunes loups alors qu’ils avaient leur mère aux trousses. Ils finirent par être mangés, non seulement Dumoulin parvint à l’énergie à rentrer sur eux, mais en plus, le géant batave leur prit des secondes de bonifications, quatre, Lopez Moreno terminant deuxième. Les cinq lâchant encore 41’’ à Yates, bien campé sur ses positions.

 

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Il me sembla revivre un remake de l’étape de Asiago l’an dernier, quand après avoir relégués Dumoulin dans une deuxième groupe, Nibali, Quintana, Zakarin... Pinot et Pozzovivo  - déjà – ne s’unirent pas spontanément pour prendre du temps à Dumoulin.

 

J’avais débuté l’article par cette histoire de résurrection, et je me dois de parler de ce sprint massif de la treizième étape. Cette fois, Elia Viviani ne s’est pas fait piéger par un quelconque fait de course. A Nervesa della Bataglia, dans sa région, Elia tenait trop à la victoire pour la laisser s’échapper bêtement. Il n’y eut même pas de bataille dans ce bled qui en porte le nom, il domina nettement le reste du peloton. Sam Bennett qu’on vit faire du wheeling dans un lacet du Zoncolan, the show must go on, prit la deuxième place, concédant un 3-2 imparable. Les deux sprinteurs auront encore l’occasion de s’asticoter bientôt.  

 

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18 mai 2018

Douzième étape : Osimo - Imola (213km) Des fantômes comme s'ils en pleuvaient

DES FANTOMES COMME S'ILS EN PLEUVAIENT

Il y avait peu à attendre de cette étape de plaine. La course s’octroyait une journée tranquille dévolue aux sprinteurs, dans une longue et ennuyeuse remontée le long de la côte adriatique. Cela tombait bien, c’était ma journée à Grenoble. Depuis la rentrée septembre, j’essaye au moins une fois par semaine de descendre au bureau, histoire de relever le courrier, de me rendre à des rendez-vous de travail, ou comme hier, de faire une petite bouffe avec les collègues et même mon boss. Je ne sais jamais comment interpréter ces journées. Autant je suis heureux de me déplacer à nouveau, de pouvoir conduire sans trop de difficultés - sinon une certaine somnolence dûe au médicaments dont il faut se méfier – autant, quand je rentre en fin d’après-midi avec des douleurs intenses et une énorme fatigue, mon moral s’affaisse. Parce que c’est là que je prends réellement conscience que je suis loin, très loin, d’être remis. S’il faut être objectif, je peux admettre que ma santé est indéniablement meilleure aujourd’hui qu’hier, et pour le moment chaque jour me rapproche un peu plus d’une vie à peu près normale. Mais le cerveau n’étant pas toujours aussi rationnel qu’on le voudrait, tout le monde constate que le soir de ces virées grenobloises me plongent dans un spleen mi- mélancolique, mi- colérique.

 

Je n’ai donc vu que la fin de la course qui s’est terminée sur le circuit de Formule 1 de Imola.

 

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Cette mélancolie m’aurait sans doute submergée si j’avais vu les coureurs passer par Rimini. Il y a quelques fantômes qui rôdent dans le coin. Peut-on ignorer la présence de Marco Pantani, né à Cesena, mort à Rimini, et qui repose à Cesenatico, sa petite ville sur les bords de l’Adriatique. La dévotion du monde du vélo pour ce personnage reste une énigme à mes yeux. Son souvenir est partout sur les routes, et sans exagérer ( sans Masseratiser – seuls les cousins savent) il y a plus de tifosi de Marco Pantani que de supporters des champions du moment. Quatorze ans après sa disparition, l’Italie - mais ailleurs également - n’a pas remplacé l’icône. Il existe un vrai mystère Marco Pantani. Car enfin, le bonhomme était loin d’être un gendre idéal, il est tout de même mort d’une overdose de cocaïne, il est tout de même avéré qu’il a participé à la supercherie du vélo des années 90. Alors comment ce dopé drogué a pénétré le cœur des gens comme une espèce de Christ crucifié sur la croix ? On aime Pantani et on l’excuse, comme si sa façon de vivre lui avait était imposée et qu’il n’avait pas eu le choix de refuser ces tentations ? Il incarne sans doute la mauvaise part de nous-mêmes, on se pardonne à travers lui. Pantani avait l’humanité pour lui, cette fragilité qui fait les grands héros, il avait l’insolence de ceux qui en ont bavé pour arriver là, de ceux qui ont bravé le sort, l’ont vaincu, L’inverse du robotique Lance Armstrong. Alors que l’américain dégageait une morgue arrogante, ce mépris s’est retourné contre lui. Il a eu aussi le tort... de ne pas mourir.

 

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Pour d’autres raisons, la mort, décidemment implacable dans le coin avec les surhommes, a emporté Ayrton Senna sur le circuit d’Imola en 1994. Qui peut oublier le terrifiant accident du Brésilien dans une courbe du circuit que vont emprunter les coureurs en fin d’étape ? Cet événement a marqué toute une génération, même ceux insensibles aux charmes des gros moteurs. Lui aussi est devenu une icône, adulé de son vivant, vénéré à sa mort.

 

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Le Giro, après ces deux journées menées tambour battant, ne voulait pas corser un peu plus son parcours à deux jours d’un gros week-end montagneux. Les organisateurs ont laissé de côté les côtes et bosses où s’entraînait le pirate.

 

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Après avoir abandonné les deux roues pendant mes années cheveux longs idées en cours, j’y suis revenu par le biais de ma famille. Petit à petit, kilomètres après kilomètres, je me suis remis sur la selle. Je me souviendrai toute ma vie de cette première sortie avec mon père et François (un de mes oncles). Nous avions roulé gentiment sur les berges de l’Isère, à plat. Nous n’avions fait qu’une seule bosse, un vrai pont de chemin de fer, littéralement. J’avais encore mon Pinarello bleu et les pignons d’un dernier vire-vire. J’ai été incapable de le passer sur les pédales, pendant que mes deux compagnons se marraient de mon niveau. J’ai insisté, et progressé par la suite. C’est ouverte alors l’une des plus belles périodes de ma vie, avec le club de cyclotourisme du Conexe. Notre famille (nombreuse) s’est investie massivement dans le club. Noël (un autre de mes oncles) en était le Président. Toute la famille en faisait partie : les frères Ennio, Lucien, Sylvain, François (mes oncles), mes cousins Pascal, Nicolas, Patrick, Jonathan, mon frère Daniel et moi, et les « femmes » qui pour certaines sont montées aussi sur le vélo : maman, Joëlle, Nelly ; accompagnés également d’amis qui étaient (et sont encore) comme notre famille, je pense à Philippe, Béatrice, Manu, Edward, Richard et Michel. Il y avait aussi tout ceux « qui ne roulaient pas »,  des tantes encore, des cousins, des amis des oncles et tantes et des cousins ;  des gens biens, qui donnaient de leur temps et de leur joie de vivre pour faire vivre le Club, surtout le jour des « Corniches du Drac », une randonnée cyclotouriste que le Club organisait annuellement. Je suis sûr que j’en oublie et je m’en excuse par avance.

 

Je ne sais pas comment l’expliquer, mais ces journées passées sur le vélo en roulant avec ces amis et surtout, les membres de ma famille, sont des moments de plénitude absolue. On roulait ensemble, dans le vrai sens solidaire du terme. On aidait celui qui n’était pas bien, on encourageait celui qui en chiait dans les cols, on rassurait celui qui n’avait plus rien dans les guiboles en fin de journée ; on se tirait la bourre aussi, on se faisait des sprints, on se bagarrait, même si chacun savait qui était le plus fort. Quand on mettait en route le « train bleu » ou même quand on roulait au pas, en groupe, sur la montée d’un col pour ne pas faire décrocher le moins fort d’entre nous, j’étais aux anges, j’avais cette sensation d’appartenir à une tribu, un clan, un groupe, bref, une famille... et c’était le cas. J’ai des flashs qui me reviennent parfois, des instantanés des ces sorties, parfois de ces longues randonnées. Bien sûr, cette descente à Bedonia sur trois jours, épique ; mais aussi une randonnée vers Annecy, sous la pluie battante, où dans un col on avait formé un petit peloton rien qu’avec les membres de la famille :  Noël, Sylvain, Patrick, Nico peut-être, mon père, Daniel et moi... j’en oublie peut-être. Cette énorme journée sous la flotte - décidemment – au Cinque Terre, avec François, Sylvain et Papa. Les différentes Ardéchoises aussi. Je faisais du vélo par pur plaisir, avec des gens que j’aime, et je mesure aujourd’hui la chance que j’avais. Comme disait l’autre, merci pour ces moments.

 

Le Club venait aussi dans les parages de Cesenatico, à Cervia je crois, pour une petite semaine de vacances. Je n’ai jamais eu le plaisir de venir mais j’ai toujours eu l’impression d’y avoir été, grâce aux récits amusés des participants. Le Club y a écrit sans doute ses plus beaux souvenirs. Quand je pense à Cervia, je pense à mon oncle Ennio. Son fantôme rôde aussi sur cette fin d’étape. Ennio était peut-être le plus passionné d’entre nous. Il n’avait jamais trop fait de vélo pourtant, loupant le train de ses frères et beaux-frères quand ils se sont vraiment mis à rouler sérieusement. Puis il eut quelques ennuis de santé sérieux. Pourtant, Il faisait tant bien que mal quelques sorties et s’investissait totalement pour le club. Je ne peux que revoir ses yeux pétillants, son bonheur total, quand il racontait une anecdote, parfois ressassée cent fois, de ses séjours en Italie. Il aimait le vélo comme aucun autre. Il venait me voir quand je courrais, mais c’est avec son gendre qu’il fut le plus fier, Jean-Marie était un très bon coursier, et Ennio était fier de lui. Majestueusement fier... il a transmis cette passion à sa fille Angélique qui était devenue commissaire. Elle va d’ailleurs venir manger à la maison avec son compagnon samedi, l’occasion de voir la course du Zoncolan ensemble, et de nous perdre dans le dédale des souvenirs.

J’ai une vague de nostalgie qui me submerge en me remémorant ces années. Le Club pour quelques bisbilles entre membres, sans rapport avec le vélo, s’est mis à péricliter. Avec mon nouveau rôle de père, et notre exil à soixante bornes de Grenoble, je roulais moins en groupe, et même moins tout court. Je commençais à peine à retrouver la joie du vélo en groupe, avec Pascal, François, Daniel et mon père surtout, quand j’ai appris mon cancer qui m’a cloué sur le canapé. Je faisais encore une rando, La Drômoise, en septembre 2016 ; en décembre j’ai appris ma maladie et mes douleurs osseuses m’ont rapidement interdit tous mouvements.

C’est ce qu’auraient aimé faire les Quick-Step en direction d’Imola afin de lancer leur bolide vers une nouvelle victoire. Mais le moteur d’Elia Viviani semble grippé. A une trentaine de bornes d’Imola, le peloton rincé par une averse orageuse s’était scindé en plusieurs groupes, piégeant des pointures comme Viviani mais aussi Pozzovivo, Carapaz ou Georges Bennett. Si les prétendants au général parvinrent à s’en tirer, quand je pris le direct, Viviani s’ébrouait tout seul sur le macadam du circuit devenu bien trop large pour lui. Cela dit, avec cette bosse de 4km, avec un passage à 10%, placée juste avant la ligne d’arrivée, il n’est pas certain que le sprinteur italien ait pu tenir le rythme des leaders.

 

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Parce que sous la flotte, on vit Carapaz, sans doute vexé, Pinot ou encore Yates aux avant-postes. Tim Wellens avait tenté une nouvelle fois l’évasion gagnante, mais les actions des costauds le condamnèrent. Dans la descente, on vit Mohoric fuser sur le goudron détrempé revenir comme une balle sur les puncheurs, Ulissi et Betancur, partis dans la bosse, il ne garda avec lui que le prometteur colombien, mais les deux durent se rendre à l’évidence. Les 50 rescapés du peloton leur soufflaient dans la nuque. A 500m, Sam Bennett accéléra de manière irrésistible, sa puissance fit une énorme différence, reléguant ses adversaires surpris, à plusieurs longueurs. Dans l’ordre Van Poppel et Bonifazio.

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Il pouvait lever les bras dans le ciel sombre d’Imola, récupérant un baiser amoureux de sa brune compagne dans l’aire d’arrivée et une accolade furieuse d’un Davide Formolo aux anges. Sam Bennett égalisait le score de Elia Viviani et Simon Yates. Surtout, il revenait à 22 petits points du maillot cyclamen, relançant le match avec l’italien, désormais en danger.

 

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17 mai 2018

Dixième et onzième étapes : Jours de migraine

JOURS DE MIGRAINE

Dixième étape : Penne - Gualda Tadino (239km)
Onzième étape : Assise - Osimo (156km)

Ils sont nombreux à avoir une migraine aussi carabinée que la mienne au soir de la onzième étape. Il faut dire que quand elle vient, la sournoise, elle a vraiment du mal à partir. Elle ne lâche pas, et j’ai beau prendre quelques drogues et autres cachets pour l’éliminer, elle est coriace la "..." ! Je resterai poli.
Cette traversée des Apennins sentaient le piège, la trappola, dans la langue de Dante... ou alors l’ennui, avec le scenario classique des étapes de transitions. Un peu comme la migraine survient sans réellement de cause précise, une course cycliste s’emballe parfois pour un grain de sable qui fait tout dérailler et provoque une pagaille sans nom. En regardant le profil de ces deux étapes dans le centre de l’Italie, on pouvait se douter que la course serait nerveuse, surtout sur la courte étape entre Assise et Osimo émaillée par un final avec les fameux murs des Marche, ces strappi chers au regretté et régional Michele Scarponi. Le Giro venait lui rendre hommage, passant dans le village médiéval de Filottrano, où il vécut, et où désormais il repose ad vitam eternam. Je disais qu’on s’attendait bien à une belle bagarre dans le final de cette deuxième étape apennine, avec une arrivée dans les ruelles tortueuses de la belle Osimo et ses passages à 16% pavés. Bagarre il y eut, comme prévu, avec les conclusions qui vont avec. Mais patientons encore un peu avant de nous pencher sur le récit de cette onzième étape.


La veille, le Giro dévoilait les secrets d’une Italie cachée, celle d’un pays figé dans son jus, loin, très loin, de ses trésors mis en péril par l’afflux toujours croissant de touristes. Le printemps y faisait du printemps, déversant quelques averses glacées sur un col, inondant la bosse suivante d’un soleil radieux, créant des trouées de ciel bleu intense à travers des nuages d’encre noire. L’humidité ambiante faisait éclater les champs d’un vert éclatant, les prairies étaient délicatement tâchées par les pétales blancs des vergers en fleurs, plus haut les forêts se paraient timidement de leur manteau de verdure, et au loin, les Monts Sibyllins conservaient le témoignage d’un hiver rigoureux.

A chaque passage dans une petite agglomération urbaine, l’éternel Jean-Paul Ollivier était convoqué pour dire un mot sur la richesse des villages au passé médiéval intact. Monsieur Wikipédia se démenait pour raconter des anecdotes et se faisait charrier par Patrick Chassé et surtout Cyril Guimard ; peu avare de sa personne quand il faut se souvenir de ses propres exploits. L’exploit aurait été de rester insensible au charme de ce pays dans le pays. 

Pourtant, au départ, les coureurs avaient rendu hommage aux personnes décédés en janvier 2017 dans l’improbable avalanche qui avait emporté leur hôtel d’une station du coin ; sur la route, on longeait des demeures encore touchées par les tremblements de terre tout autant meurtriers. La beauté des lieux pouvaient faire oublier la dangerosité de ces terres, bénies des Dieux, punies par un Diable insensible. Bâties au sommet de petites buttes, parfois d’éperons rocheux, les agglomérations regroupent leurs maisons autour de l’église principale ou de la haute tour d’un palais moyenâgeux, les toits de tuiles rouges se bousculant jusqu’au sommet. Malgré la proximité avec la maison de Dieu, on devine qu’à la moindre secousse un peu plus forte que la moyenne, ces maisons de pierres ancestrales, pluriséculaires, n’auront aucun mal à s’écrouler comme de vulgaires châteaux de cartes. Voilà ce qu’il peut se passer par ici.

 

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Les Mitchtrucbidule Scott auraient dû se méfier des secousses sismiques. La Rai n’avait pas encore balancé ses images au monde entier, que la course avait déjà choisi une victime illustre, un monument à détruire. Après la lurnée de repos, les coureurs entamaient d'entrée un long col typique des Apennins (15km à 6%). L’obscur Fonte della Creta allait sans s’en douter une seule seconde, devenir un des tournants du Giro, passant à la postérité de l’histoire de la Corsa Rosa. Un Jean-Paul Ollivier du futur racontera comment le deuxième du classement général, un certain Chaves, coleader du maillot rose, se laissa distancer du peloton principal et perdit toute chance de figurer sur le podium, plus de deux cent kilomètres plus loin. Pour beaucoup, ce fut l'une des étapes les plus difficiles de leur carrière, c'est dire l'allure de la course sur ces routes vallonées. Rapidement relégué à 3mn, d’abord aidé par plusieurs gars de son équipe, suppléés rapidement par les gregari du maillot cyclamen, Elia Viviani, encore intéressé par une victoire d’étape, il put penser qu’il allait en être quitte pour une belle frayeur. En effet, après une bataille menée à plus de quarante à l’heure sur ces routes chaotiques, il se rapprocha du peloton. Très près. Trop près. Comme celui-ci s’amuse à jouer avec des échappés, toutes les autres équipes de leaders se sont liguées pour l’éliminer. Sans pitié ! Les secondes se remirent à grimper, alors les Quick Step abandonnèrent la poursuite. Dans son maillot Bleu de meilleur grimpeur qui appartient en réalité au maillot rose, le petit colombien l’endossant par défaut, Chaves faisait peine à voir. On le vit par désespoir de cause mettre un dernier coup de collier en tête de son groupe, dont la plupart des coureurs faisaient de la patinette, comme un dernier baroud d’honneur, puis il se rangea dépité, et à l’arrivée il déboursa 25mn et un terrible mal de crâne. Un abysse et une sacrée surprise tant on l’avait vu aérien sur les sommets. Le staff mis en cause une allergie au pollen, il ne parla que d’une défaillance physique.

 

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Comment Simon Yates avait-il pu accueillir cette déflagration ? Ils étaient deux coqs dans la basse cour, il restait seul à se pavaner. Quant au staff des Scott, il s’évitera de grosses migraines et crève cœur qui n’auraient pas manqué de survenir plus tard dans la course.
Simon Yates, dont on se rappellera volontiers que son jumeau triompha dans le mur de Filottrano sur les routes locales de la Tirreno-Adriatico, ne se contenta pas de ce coup du sort. Il profita dans les rues pavées de Osimo, ce balcon perché face à l’Adriatique, de tout son talent explosif pour vaincre une seconde fois avec le maillot rose.

 

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Exceptionnel final entre les ruelles médiévales de la petite cité des Marche, comme seul peut le proposer une course à taille humaine. Il y avait toute l’essence du vélo dans cet emballage, les champions terminant quasiment un par un, les plus forts devant, les autres derrière. Et parmi ces derniers, on pouvait voir la longue silhouette de Chris Froome lâcher encore des secondes précieuses, 40’’ sur la ligne plus 10’’ de bonifications, le reléguant à 3’20’’ au général, un autre abysse. On pouvait surtout voir à son attitude que le quadruple vainqueur du Tour était touché psychologiquement. La veille, le britannique disait en commentant la course folle de la journée que le Giro n’attendait personne. Ce n’est pas faux, au Giro les transitions peuvent être difficiles, le parcours étant souvent sinueux, casse patte, semé d’embûches et très proche d’une classique printanière. Il ne pardonne pas. Parmi eux, même si à un degré moindre, le Champion d’Italie, plus que discret, vint prendre la 10ème place à 21’’. Fabio Aru possède 3’10’’ de retard et comme il est trop limité contre la montre, il faudrait un énorme concours de circonstance pour se remettre en selle pour la victoire. A l’instar de Froome, on sent chez lui une certaine résignation.

 

Alors qui pour contester Simon Yates ? Quand celui-ci mit le turbo au plus fort de la pente, Stybar et Wellens qui avaient tenté la belle dans la première des deux bosses du final venaient d’être repris, on vit l’athlétique Tom Dumoulin se lever sur les pédales et rester dans le sillage du maillot rose. Ni Pozzovivo, un peu juste sur ce type d’arrivée explosive, ni Pinot qui joue dans le même registre, ne pouvaient rivaliser avec les deux de devant. Mais que c’étaient beau, intense, plein de suspense, spectaculaire. Dumoulin était juste là, à un souffle de Yates. Dans leur dos on entrevoyait les autres qui se démenaient comme des forcenés, un par un, dans la pente étroite, entre les murs médiévaux et les rangées de tifosi. Dumoulin ne parvint pas à boucher le trou, il termina à 2’’.

 

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Mais le grand Tom est encore idéalement placé, surtout dans la perspective du contre-la-montre, il va jouer une partie de son Giro dans les pourcentages effrayant du Zoncolan samedi après-midi. S’il le passe sans trop de dégât, il va devenir de fait le deuxième prétendant à ce Giro. Démontrant une fois de plus que l’Etna avait été un accident, Davide Formolo prenait la troisième place, pour son deuxième podium d’étape.

 

Autre révélation italienne de la course, le jeune Fausto Masnada qui ne s’était rendu qu’à 3km du sommet du Gran Sasso, reprit la poudre d’escampette dans la journée, avec pour compagnons d’échappée Maestri, Turrin à qui le peloton accorda ouvertement un  bon de sortie, et les expérimentés baroudeurs que sont De Marchi et Leon Sanchez. Mais il n’y eut rien à faire pour le quintet, les hommes du général étaient trop intéressés par la victoire à Osimo, ils ne purent pas répéter le scenario de la veille.

 

A Gualdo Tadino, une fois Esteban Chaves aux oubliettes, les meilleurs baroudeurs du moment s’en sont donné à cœur joue. On retrouvait nez dans le guidon dans le désordre des attaques, Frapporti dont on ne compte plus les kilomètres d’échappées, Villela qui déclencha les choses sérieuses, Henao excellent grimpeur, De Marchi déjà, l’allemand Denz que je découvrais et dont les prises de risque en descente méritaient un beau final et Mohoric qui semble prendre le chemin de son compatriote Roglič.

Après des attaques et des contre incessants, le slovène et l’allemand se jouèrent la victoire entre costauds. Quel beau sprint ! Mohoric le lança de loin, Denz parvint à revenir à hauteur du pédalier, pendant de longues secondes, les deux restèrent à même hauteur, Mohoric ne lâchant jamais sa demi roue d’avance. C’était à celui qui craquerait le premier. Alors, au bout de l’effort, totalement asphyxié, les cuisses en feu, Denz se rassit et laissa Mohoric offrir une première victoire à Barhain - Merida. 

 

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Derrière Osimo on voyait l’Adriatique d’un bleu profond, sur l’horizon deux ferries partaient d’Ancône et filaient vers la Croatie, le Monténégro, l’Albanie ou la Grèce. Pendant que Chaves mourrait lentement à l’arrière, j’achetais les billets de ferries pour nos vacances estivales, des billets aller/retour Ancône – Igoumenitsa, Patras – Ancône. Sur Airbnb, je trouvais un appartement à louer pour la veille de notre départ en bateau, sur la place centrale de... Osimo. Y a t-il un hasard ? En tout cas, ma migraine commençait à s'aténuer.

 

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14 mai 2018

Neuvième étape : Pesco Sannita - Gran Sasso d'Italia (224 km) des petits cailloux au Gran Sasso

DES PETITS CAILLOUX AU GRAN SASSO

 

 

C’était une de ces journées pluvieuses de mai à ne pas mettre des cyclistes dehors. Pensez donc, les cols des Alpes qui dépassaient à peine les 1 000m d’altitude revêtaient un fine couche de neige. La télé muette déversait ses images dans la pièce où nous étions attablés autour des gâteaux d’anniversaire de ma fille Louna (12 ans) et mon neveu Alban (1 an). La pluie redoublait derrière les fenêtres et même le chat Grizou (hommage à la perle de l’Atletico Madrid) n’avait pas le goût de l’extérieur, tout en redoutant les cinq cousins surexcités et dopés aux Haribos.

Le Giro se pointait dans le ventre de l’Italie pour une première vraie étape de montagne, heureusement, le temps était bien plus clément qu’ici. Entre deux discussions avec mon frère Daniel sur les incidents du match - ce moment nous restera au travers de la gorge pendant un long moment – la beauté des paysages sautait aux yeux, pas forcément concentrés sur les coureurs. A lire les commentaires des réseaux sociaux d’après course, beaucoup de téléspectateurs ont été ravis par cette montagne méconnue. Même moi, je n’ai jamais mis les pieds dans cette partie de l’Italie qu’il faut savoir aller chercher. Si comme nous le disions devant la télé avec mon père et mon beau-père Bernard, le Gran Sasso d’Italia (le Grand Caillou) fait partie de la chaîne des Apennins, le relief n’a strictement rien à voir avec la douceur tranquille des vieux sommets de la colonne vertébrale de la péninsule. Ici, l’atmosphère est alpine. Les faces calcaires des sommets acérés, et notamment celle aux pieds de laquelle est jugée l’arrivée, à Campo Imperatore, est impressionnante de verticalité et n’a rien à envier à ces grandes sœurs des Dolomites. Avec ses hauts plateaux d’alpage d’une platitude irréelle, fermés à l’arrière plan par des pics qui harponnent les nuages, le Gran Sasso prend des accents de Mongolie.

 

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Les coureurs qui s’isolaient à l’avant ou perdaient pied à l’arrière, ressemblaient à des petits jouets, soldats perdus dans une bataille au décor de carton pâte. Après le vacarme des affrontements, le bruit infernal des pales des hélicoptères qui sur le Giro effleurent les coureurs, le klaxon entêté des voitures suiveuses, le vrombissement des moteurs des motos, le cycliste esseulé devait retrouver le silence assourdissant des espaces vierges.

 

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On peine à imaginer qu’à seulement une cinquantaine de kilomètres les plages de l’Adriatique étendent leurs bandes de sable paisibles. L’hélicoptère survolait des villages perchés, recroquevillés sur eux-mêmes, d’un charme austère. Qui a vu le film avec George Clooney « The American », se souviendra de l’atmosphère pesante de ces villages avec leurs étroites ruelles qui ont servi de cadre, et de « personnage », à ce thriller pesant. A Casteluccio, quand la Fioritura apparaît quelques jours dans l’année, la vaste plaine qui s’étend en contrebas du village se transforme en un camaïeu de couleurs éclatantes, créant un tableau impressionniste d’une étincelante splendeur.

 

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Pas de floraison aujourd’hui, nous sommes trop tôt dans la saison, et les seuls fleurs qui pointent leurs tiges doivent être les narcisses, crocus, ou autres perce-neiges.  Le peloton emmené à rythme soutenu s’effilochait sous le pas intensif des Astana. Drôle de tactique pour les hommes de Vinokourov, le manager général. Si leur maillot aux couleurs du ciel azur reste le plus beau de toutes les formations, il m’étonnerait que les Kazhaks aient mis leurs gregari à l’avant pour cette unique raison. Mais alors qu’elle est la volonté des bleus ciel ? Gagner l’étape, d’accord ! Il faut bien revenir sur ces quatorze fuyards partis dès le kilomètre zéro. Mais ils ne devraient pas être les seuls à rouler dans cette optique, plusieurs teams ont la même ambition. Puis, Miguel Angel Lopez devrait avoir le jump nécessaire pour tenter sa chance comme un grand dans la montée finale. Leur attitude ressemble étrangement à une équipe défendant un maillot de leader de l’épreuve, sans l’avoir. Daniel imagine même un coup de main monnayé à la Mitchelton-scott (je vais finir par ne garder que Scott, tant j’ai du mal à retenir l’orthographe de la première marque) par ce roublard de Vino. Je ne peux même pas accuser Daniel d’exagérer. Cet ancien coureur, bel attaquant, a tout de même une carrière sulfureuse. Inutile de revenir sur les faits de dopage avoués – « tout le monde faisait pareil » dirons les plus lucides, ou ceux qui cherchent excuse à tout – mais il a aussi été accusé d’avoir « acheté » sa victoire à Liège Bastogne Liège en payant son compagnon d’échappée. Le monde du vélo a ses règles que les règles ne connaissent pas.

 

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Au moment du Champagne, ou du Prosecco, quand les deux cousins soufflaient leurs bougies respectives, les coureurs entraient dans la partie la plus difficile de l’étape. L’ascension vers les névés était interminable. Quarante-cinq kilomètres toujours en prise, avec des longs passage de faux plat exposé au vent de face glacial qui soufflait des cimes. Le type de route à user le meilleur des roule toujours, une pente à jouer sans cesse du dérailleur, à ne pas savoir pourquoi on n’avance pas parce que ça ne monte pas tant que ça. L’œil rivé sur son computer de bord, Froomey dodelinait de la tête comme à son habitude, nous faisant penser, avec mon frangin, à Didier Léger, un ancien collègue de vélo, quand j’avais tenté d’en faire en compétition, à une époque la fête gagnait sur la pédale. J’ai essayé pour vous : faire du cyclisme sans s’entrainer, abusant de soirées se terminant à l’aube, comme pouvait le faire un Maradona au football, ça ne fonctionne pas. Je le dis crânement, j’étais bien plus increvable en soirées que sur le vélo. Avec ma maladie qui m’interdit d’en faire vraiment - si je parviens déjà à faire dix kilomètres je suis heureux - je rêverai par contre de me balader sur deux roues sur ces routes magnifiques, dans ce décor montagnard grandiose, avec mes acolytes cyclotouristes.

 

 

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Se balader, les échappés l’auraient bien voulu. Chérel, Brambilla, Berhane, Masnada, Boaro et Carthy s’étaient débarrassés de leurs compagnons en recherche de fortune, et allaient rapidement se chercher querelle entre eux. Avec 3’20’’ à l’entame des derniers 20km, dont les 7 derniers sont indiqués sur les topoguides comme les plus escarpés, la tâche s’annonçait délicate. Fausto Masnada, 24 berges, était le dernier des rescapés quand le groupe de favoris l’avala, à 3km du but, là où la pente se raidissait comme une saine érection matinale, là où les tâches blanches d’une neige tombée en surabondance cet hiver se faisaient plus larges, plus denses, plus hautes, et donnaient aux derniers hectomètres un décor parfait pour le dénouement d’une course jusqu’ici ennuyeuse.

 

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Il faut dire que les longues lignes droites totalement exposées aux rafales de vent descendues des nuages, n’incitaient personne aux suicide sportif. Masnada à la dérive, rejeté comme une épave par ce qu’il restait de peloton, le Giro décida soudain de donner ses premières vives émotions. Avec son maillot dont on devine à peine qu’il est Champion d’Italie, Fabio Aru se heurta le premier à son plafond de verre, qui semble de glace sur cette scène montagnarde. Terminés les faux décors de Cinecittà, quand on joue à plus de 2 000m d’altitude, les masques tombent, et l’on découvre la réalité des personnages. Incapable de suivre le train imposé par les cadors du moment, le sarde était distancé à la pédale, il laissa filer devant lui des coureurs qui vont simplement plus vite que lui aujourd’hui, et on en trouve pas moins de 23, trop pour qu’on puisse penser que Fabio reviendra dans le jeu. Et que vit-on presque simultanément ? Ce dégingandé de Chris Froome dans son style heurté, la tête vissée sur son cadre, ses épaules pagayant de gauche à droite de façon désordonnée, perdre la roue de son prédécesseur sur un bout de replat, incapable de descendre une dent, il laissa filer lui aussi le groupe de devant. Contrairement à Aru, il eut la chance de trouver avec lui, ses fidèles Poels et surtout Henao pour l’aider à contenir l’écart. Au final, l’italien esseulé dégage plus de courage et de force que le Kénian blanc, peu habitué à être dans cette situation défensive, il est devancé d’une seule petite place, et les deux perdent respectivement 1’14’’ et 1’07’’ (plus les bonifications) du vainqueur du jour.

 

Les deux favoris qui avaient bien animé le dernier Tour de France hors jeu, c’est le jeune et prometteur Giulio Ciccone, 23 ans, de la Bardiani, qui réveillait le public italien, que je représente ici sans aucune modestie, sonné par la faillite de son favori. L’espoir italien se démenait quelques mètres devant les cadors, vaillamment. Mais il n’y avait pas grand chose à faire face au vent. Je commençais un peu à m’agacer, bon sang, Froome et Aru dans les choux, qu’attendaient les Pinot et Pozzovivo pour creuser l’écart ? Mon père vint me rappeler sagement qu’ils étaient peut-être, eux-aussi, à bloc. Pinot, que j’apprécie par ailleurs - je ne sais même pas comment on peut douter de son talent brut, il a déjà prouvé ses capacités sur des courses difficiles -  Thibaut donc, prit enfin la course en main, il accéléra à la manière d’un Contador, contré par le minuscule Pozzovivo. Quand il comprit qu’il ne parviendrait pas à sortir les autres de sa roue, l’italien poursuivit tout de même son effort.

 

Cela faisait déjà un moment que la retransmission bégayait, un peu comme lors d’un match en streaming sur Rojadirecta ou sur FFTV, les images étaient hachées menues, mais au lieu de mouliner comme sur les ordinateurs, on nous mettait lors des coupures les images d’un joli village de montagne avec sa tour médiévale, et la place d’une petite ville avec le parvis de son église.  On a fini par les connaître. Je pestai contre la RAI et le peu de moyen de la télé italienne. Inadmissible de se faire humilier ainsi si l’on compare avec la réalisation du Tour de France, toujours impeccable. J’aurais bien fait un steak haché des responsables. Je me suis presque emporté contre papa, dans un réflexe patriotique de mauvaise foi, il osait dire que sur la RAI il ne devait pas y avoir ce problème. « Impossible papa ! Les images sont internationales, elles sont les mêmes partout ! » Sauf qu’une fois la course finie, parmi la litanie des commentaires acerbes, moqueurs, ironiques, voire un tantinet raciste, certains ont fait remarquer que sur Eurosport et sur la RAI, on avait bien vu les images de la course, sans coupures. A priori, c’était un problème de renvoi d’images sur la chaîne l’Equipe. Le sprint final donnait lieu à une scène surréaliste. Pour avoir les images, on avait trouver la solution : des caméras de l’Equipe filmaient l’écran géant de l’arrivée qui diffusant le direct de la RAI. « D’anthologie ! », comme disent certains.


Alors ce sprint ? Une formalité pour celui qui semble se balader littéralement en ce moment, et qui ne devra pas oublier de remercier les hommes au maillot bleu-ciel pour leur aide. En effet, le maillot rose mis le bout de son nez devant, à 100m du but, avec une accélération imparable. Simon Yates gagnait en Rose et empochait 10’’ de bonus, dernier cadeau surprise de la journée. Il devançait un Pinot qui tourne décidemment autour de la gagne, et Chaves, qui n’a pas encore abandonné l’espoir d’inverser la tendance au sein de la Scott.Yates semble intouchable aujourd'hui, s'étant débarassé finalement des deux rocs que semblaient être Aru et Froome, devenus de simples petits cailloux dans sa chaussure, le britannique hérite désormais de la pancarte du favori. Il faudra être fort pour le renverser. 

 

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Les autres au terme d’un sprint asphyxiant à cette altitude, perdaient une poignée de secondes ; Dans l’ordre Pozzovivo encore épatant, le jeune Carapaz encore présent, à 4’’, le surprenant Bennett, le très discret Dumoulin et finalement le grand battu Lopez, concédaient 12’’. Le vainqueur de l’épreuve après cette première semaine devrait se trouver parmi ceux-là.

 

En découvrant le classement détaillé, j’ai été surpris par la place de Davide Formolo, ce jeune italien que je surveille de prés depuis son beau Giro l’an dernier. Après une chute au pied de l’Etna, Formolo avait repris sa place dans le peloton, mais dès que la route s’était élevée, il avait perdu pied, lâchant tristement plus de 4’ dans l’ascension du volcan, le mettant hors course pour le podium. Il prit une belle deuxième place à Montevergine, seulement battu par Carapaz, mais l’étape était facile, elle ne donnait pas d’indication précise sur sa forme du moment. C’est pourquoi finir 6ème à 2 135m d'altidude à seulement 10’’ de Yates, est beaucoup plus significatif et laisse des gros regrets pour le classement général. Il lui sera sas doute difficile de revenir dans vers le haut du classement, mais Formolo pourra jouer son rôle de trublion dans une prochaine étape. Une source d’enthousiasme pour le tifoso un peu chauvin que je suis.

13 mai 2018

De la sixième à la huitième étape : Histoires de mauvais sort

HISTOIRES DE MAUVAIS SORT

Sixième étape : Caltanisseta - Etna - 183km
Septième étape : Pizzo - Praia a mare - 159km
Huitième étape : Praia a mare - Montervergine du Mercoliano 208 km

 

Comme je le prédisais, mon emploi du temps n’allait pas me permettre d’être aussi assidu au clavier que l’année dernière. Voilà que j’ai laissé filer trois jours de courses. Le peloton se retrouvant déjà en Italie centrale, au pied du Gran Sasso. Cette montagne des Abruzzes dont les sommets flirtent avec les 3 000m. Les sommets, nous aurions dû les rejoindre, nous les grenoblois, les footeux grenoblois, au terme d’une saison magnifique et énervante.

Nous aurions dû remonter en Ligue 2 après des années de galère dans les divisions inférieures du football amateur. La fête était prête. 15 000 personnes avaient envahi les travées du Stade des Alpes, notre équipe n’ayant besoin que d’un score de parité pour accéder à l’échelon professionnel. Seulement le sport n’étant pas une science exacte, nous avons perdu. La formidable inconnue du sport ou le mauvais sort. Au terme d’un match à la dramaturgie exceptionnelle, et à l’intensité émotionnelle qui n’a d’égale que ma déception. Le foot est ainsi fait qu’il nous laisse encore une chance de monter lors d’un match de barrage aller-retour contre Bourg-en-Bresse, le classé 18ème de Ligue 2. Le foot est ainsi fait, également, qu’il entraîne avec lui, malheureusement, une kyrielle de personnes qui engendre des débordements. A la fin du match, le terrain a été assiégé par des jets de sièges, de fumigènes, et certains sont même descendus sur le terrain – ils n’en n’ont pas trop eu l’occasion sans doute au cours de leur vie – pour courser des adversaires ou pire, s’en servir comme cible pour leur fumigène allumé. Rien à voir avec le mauvais sort, la bêtise suffit largement.

Cet épisode vécu avec mon gosse de 8 ans qui venait de vibrer pendant 90mn à l’unisson d’un stade plein d’espoir, pourrait m’inciter à faire un parallèle facile avec l’ambiance qu’on peut trouver sur les bords d’une route où passe une Grande Course cycliste. Le respect du coureur, même rival, même étranger, c’est dire, reste une valeur fondatrice du supporter de vélo. Il y a certes un peu de chauvinisme bon enfant, et même quelque fois quelques huées pour certains coureurs dont le nom cristallise le doute sur leur probité, mais la communion entre les athlètes et le public ou les supporters entre eux, est l’une des étincelles qui mettent le feu à une passion saine. Je n’arriverai pas à basculer dans cette facilité, tout en condamnant fermement les actes de vendredi et même a en avoir très certainement honte. Parce qu’il faut avoir ressenties ces émotions, avoir subis ces sentiments qui oscillent entre un profond désespoir et l’espoir absolu comme une foi incarnée, parce qu’il faut juste observer comment un môme de huit ans peut vivre son match de façon jubilatoire, parce qu’il faut avoir vu l’électricité d’un stade qui pousse les siens dans les dernières minutes, avoir vu l’arène sportive se métamorphoser en volcan de lave en fusion, pour ne pas avoir la force de rayer d’un trait cette passion irrationnelle.

 

Y avait-il eu de la lave en fusion sur les pentes de l’Etna ? Car c’est là que j’avais laissé la caravane avec ses spéculations qui allaient bon train sur l’état de forme des uns et des autres. On allait en savoir plus sur les pentes plutôt sévères du volcan sicilien. D’autant plus que deux étapes plus loin se profilait une autre arrivée en bosse. Le peloton roulait dans cette Sicile centrale postée sur un plateau d’altitude ; Caltanisetta d’où partait les coureurs ou Enna traversée par la course se trouvent à 1000m d’altitude. Le temps n’était pas au beau fixe, l’Etna n’offrant aux téléspectateurs que les brumes de nuages enveloppant son sommet invisible. Dommage pour les images vidéos. D’autant plus que vers Paterno et Belpasso, les bas côtés, au propre comme au figuré, de cette belle île explosaient en mondovision. Un interminable ourlet de déchet se dérobait sous les roues des cyclistes, papiers en tout genre, sacs et bouteilles en plastiques, tout ce qui devrait être dans une déchetterie décorait les routes. La honte et la rage se mêlaient dans mes tripes, un peu comme à l’issu du match vendredi soir. Ne cherchez pas de mauvais oeil la-dessous. Juste l'incurie.

 

Heureusement que la course nous forçait à quitter les roues des coureurs et à tenter de deviner les dossards, silhouettes et mouvements des favoris. Si l’année dernière l’Etna avait était escamoté, le vent de face limitant les attaques des grands leaders, cette année, elle fut le théâtre d’une belle bagarre où chacun tenta d’impressionner les adversaires ; sans toutefois se livrer entièrement. Et comme l’an dernier, elle ne livra aucun verdict définitif. On a saisi que les favoris étaient au rendez-vous. A l’arrivée, Froome, Aru, Dumoulin, Pinot, Pozzovivo, Bennett, Lopez Moreno étaient dans la même seconde.

 

Parmi eux, un équatorien méconnu, un coureur racé sud-américain, au visage émacié dont les traits tirés ne laissent pas deviner ses 25 ans, Richard Carapaz de la Movistar. Cette performance surprise lui permettait d’endosser le maillot du meilleur jeune, mais le grimpeur allait faire encore mieux deux jours plus tard. Sur les pentes du sanctuaire de Montevergine di Mercoliano, au-dessus de Salerno dans la région de la Naples, la course de côte programmée ne donna lieu qu’à une longue procession sous la pluie battante. Au terme d’une quinzaine de kilomètres en pente douce (6%) un peloton de trente coureurs a été devancé par la frêle silhouette équatorienne, qui a ouvert de belle façon le score d’une carrière débutée en 2016. Il est déjà la révélation de ce 101ème giro de l’histoire.

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Restons sur les virages de cette étape décevante a bien des égards. Même si je n’ai vu que les derniers kilomètres ; ma journée s’étant articulée autour du tournoi de foot d’Ivann - qui confirme ses prédispositions devant le but - et une fois revenu à la maison vers 16h, jongler avec les parents venus chercher leur gamin invité à l’anniversaire des 12 ans de Louna. Pas l’idéal pour se concentrer sur les images de la RAI mais il était assez clair que le temps exécrable ne permettait pas de faire une virée touristique entre Calabre et Campanie. Zoomons tout de même sur le peloton et faisons la mise au point sur les maillots blancs de la Sky. Sous la pluie ils laissent percevoir la maigreur squelettique de leur possesseur par un effet tee-shirt mouillé aux allures de défilés de mannequins anorexiques. Depuis quelques temps déjà on murmure qu’il y aurait une malédiction qui pèserait sur l’équipe britannique. Il est surprenant en effet de constater le peu de résultat que la Dream Team du circuit a obtenu sur les routes italiennes ; par chute, avarie, maladie, bref par la guigne. Le mauvais sort quoi.

Chris Froome est venu sur ce Giro avec la ferme intention de se refaire une virginité, lui qu’on soupçonne de tous les maux du cyclisme, et qui ne fait pas grand chose pour les dissiper, en témoigne ce vrai/faux contrôle positif. Chris Froome est un pragmatique, et il m’étonnerait qu’il croit à ces histoires de mauvais œil ? Mais quand dans une épingle anodine, à vitesse modérée puisque le peloton n’avait visiblement pas envie de trop brusquer l’allure, en montée qui plus est, le leader de la Sky s’est affalé sur le bitume comme un gosse qui fait ses premiers tours de roue, on s’est vraiment demandé si on n’avait définitivement pas marabouté cette équipe. La chute dans la forêt du Montevergine pour un gars venu se refaire une image de virginité, cumulée à la première chute, avant même le départ de la course, dans les rues de la trois fois Sainte Jérusalèm, cité du Pardon par excellence, commence réellement à avoir un arrière goût de chemin de croix et de pénitence. Bien que ennuyeusement rationaliste, si j’étais dans le staff de la Sky, équipe du Ciel je le rappelle, je ferai un petit tour dans les nombreux sanctuaires  et monastères que le Giro se plaît à visiter, et brulerai un cierge pour mon leader, afin de le protéger du mauvais sort. Même sans y croire entièrement, un petit geste ça ne mange pas de pain...même béni. Il faudra peut-être y penser aussi pour notre équipe grenobloise... à moins que le mauvais sort ne s'en mèle à nouveau.

 

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Joie de l’écriture, je peux revenir dans un ordre chronologique bouleversé, sur les forts pourcentages de l’Etna, et son cortège d’images de coureurs entre deux murs de lave, à défaut de neige qui recommence à tomber pendant que j’écris cet article, sur les hauteurs des Alpes. Nous avions vu et compris que les leaders avaient respecté un certain statut-quo tout en se livrant bataille. Les plus entreprenants furent Pinot, Pozzovivo, Lopez Moreno, soit les purs grimpeurs. Aru, Dumoulin et Froome se contentant de s’accrocher aux accélérations. Ces trois-là semblent encore un peu en-dessous des autres, mais ils sont « programmés » pour cette terrible dernière semaine. Je n’avais pas encore dit un mot sur le maillot rose, Rohan Dennis. Je m’attendais à ce qu’il puisse peut-être tenir le rythme imposé par les grimpeurs, mais cette montée irrégulière ne favorisa pas ses qualités de rouleurs. On comprit rapidement qu’il n’aurait plus le Rose sur le podium du volcan. Il déboursa 38’’, plus qu’honorable. Ce ne fût pas Dumoulin qui endossa le Rosa. Les plus perspicaces auront remarqué qu’il manquait deux coureurs majeurs dans l’énumération des favoris. Deux jeunes coureurs aux visages enfantins, vêtus de la tunique de la Mitchelton – Scott dont les couleurs noire et jaune se fondaient à merveille dans le décor volcanique : Esteban Chaves dont le dossard indiquait son leadership apparent ; et Simon Yates, le petit grimpeur anglais au nez proéminant et à l’appétit insatiable.  Chavez avait eu un bon de sortie dans l’échappée fleuve quotidienne. Un coup de poker tenté par les adversaires de la Scott, car malgré deux saisons blanches dues à des blessures, l’une physique, l’autre morale à cause de la perte d’un être cher, le colombien est un sérieux client, n’oublions pas son année 2016 : deuxième du Giro, troisième à la Vuelta et vainqueur du Lombardie.

Le grimpeur de Bogota s’était isolé en tête et semblait bien parti pour l’emporter en solitaire. Certes, les favoris se rapprochaient, mais ils n’avaient pas le jump nécessaire pour venir le cueillir à proximité de la ligne. D’ailleurs, ils n’y parvinrent pas. Pas plus que la victoire ne lui échappa. Revenu du diable vauvert, on retrouva son sourire sur le podium d’une grande course. Un sourire dont on ne savait s’il était franc et radieux, ou s’il était teinté d’une légère amertume, d’une petite contrariété comme peuvent le laisser parfois naître des cohabitations difficiles entre leaders d’une même écurie. Parce que Chaves leva les bras au ciel nuageux de l’Etna, mais il était accompagné par le remuant Simon Yates, son coleader. Mauvais sort ?

 

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L’anglais - perfide Albion – ne pu résister à l’appel de son talent. Il avait des jambes de feu, et il pensa qu’il ne pouvait pas ne pas en profiter, même si devant il y avait son... équipier. Manoeuvre plus qu’osée, il se leva de la selle, et irrémédiablement lâcha ses adversaires. Personne dans son sillage, il put tout donner pour rejoindre, puis tracter Chavez, devant depuis des kilomètres et rincé de fatigue. Il lui offrit la victoire comme pour lui désigner ouvertement sa supériorité, désormais, il s’imposait comme le patron. Et si quelqu’un devait en douter, c’est bien lui, le frère jumeau de l’autre pépite nationale, Adam, qui avait endossé le maillot rose. Les deux frères se ressemblent tellement, qu’ils pourraient presque les étapes sans que beaucoup de personnes puissent apercevoir la supercherie. De là à filer voir où court Adam ces jours-ci....
Au général, Yates devance Dumoulin de 16’’ et son coéquipier de 26’’.

 

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Il faut également dire un mot sur l’étape du milieu, celle entre l’Etna et le Montevergine.  La lente remontée de la botte, sur une côte calabraise endormie, dont les plages aménagées attendent désertes la pleine saison et sa foule en tongues ; et son scenario classique : échappée, contrôle par oreillettes et GPS de l’écart, bousculades dans les ronds-points et autres rétrécissements, mise en place des trains de sprinteurs, lancement du sprint et victoire de Viviani. Vous y avez cru hein ? Eh bien non, l’Irlandais Sam Bennett de Bora a coiffé ce bon Elia sur la ligne de la station balnéaire de Praia a Mare.

 

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Cette histoire de prophète en son pays commence à prendre du corps. Décidemment, ce Giro est baigné par une certaine forme de magie mystique. N’y aurait-il pas un Bartali qui s’amuse du Giro assis sur un nuage cotonneux tout en tirant sur une cigarette Nazionale ? Allez savoir... Depuis vendredi soir, moi je crois au mauvais sort...

10 mai 2018

Cinquième étape : Agrigento - Santa Ninfa (153km) Bon sang ne saurait mentir

BON SANG NE SAURAIT MENTIR

 

C’était un copié collé de l’étape d’hier. Un parcours nerveux, sinueux, en forme de sali-scendi et avec une arrivée tortueuse au terme d’une brève et sèche montée. Encore un truc pour puncheur. Alors on a pris quasiment les mêmes numéros, on les a remis dans la grande roue, on a bien secoué le tout, et le loto a sorti sa nouvelle quine. Le gros lot est revenu à Enrico Battaglin du team Lotto (3ème hier) devant le vétéran Giovanni Visconti de Barhein bien lancé par son capitaine Pozzovivo, décidemment impressionnant en ce début de Giro. Les italiens seraient-ils redevenus prophètes en leur pays, eux qui ont tellement déçus l’an dernier, si on fait exception de Nibali ?

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Le lointain parent du lauréat du jour, Giovanni Battaglin, l’une mes premières idoles que je découvrais surtout sur les papiers de l’Equipe ou de la Gazzetta, empochait en 1981 la Vuelta et le Giro. Un exploit majeur dans l’Histoire du cyclisme, puisqu’il n’ y avait eu que 2 jours de « repos » entre les deux grands tours. La Vuelta précédait à cette époque le Giro. Bon sang ne saurait mentir.

 

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Pas grand chose à noter parmi les favoris, même si on n’a pas encore vu Froome très fringuant. Demain, sur les sévères pentes de l’Etna, le mystère sera levé. Cet épouvantail, placé si tôt dans la course au maillot rose, trotte sans aucun doute dans les têtes. Il n’y avait pas de grands mouvements a attendre des grosses écuries aujourd’hui, surtout occupées à ne pas trop se dépenser dans l’optique de la prochaine course de côte. J’ai dû vouloir les imiter parce que je vois dois la vérité, j’ai pas mal somnolé aussi le long du trajet. Partis d’Agrigento et de ses temples grecs merveilleusement conservés – plus solides que certains ponts qui s’écroulent comme des châteaux de cartes actuellement dans la botte -  les coureurs ont longé en remontant vers le nord, la côte méditerranéenne, nous révélant quelque lieux invitant à la baignade.

 

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La Scala dei Turchi, avec ses falaises calcaire d’une blancheur éblouissante qui tombe dans la mer limpide, offrant l’occasion d’admirer l’un des sites naturels les plus spectaculaires de l’île.

 

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Quatre fuyards naviguaient quelques minutes à l’avant du peloton. Pas de Barbin aujourd’hui, l’italien avait déjà fait ces jours derniers quelques envolées quotidiennes pour endosser le maillot bleu de meilleur grimpeur, mais une vieille connaissance de l’an dernier, l’albanais Eugert Zhupa, toujours aussi massif, et à priori aussi dingue que le printemps dernier pour s’aventurer nez au vent dans une action vouée à l’échec. Ce n’est que dans les derniers kilomètres que la route bifurqua vers l’intérieur des terres, se faufilant comme hier entre des monts arrondis, des vallons creusés et des villes toutes plus pittoresques les unes que les autres. Le paysage était pourtant moins bucolique que la veille, peut-être parce que cette façade de la Sicile regarde vers l’Afrique. Agrigento se situant à la même latitude que Tunis.

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Nous n’avions pas visité cette partie de l’île, nous contenant de rester trois semaines lovés aux pieds de l’Etna, nous enroulant dans nos pérégrinations touristiques autour de la grande montagne et de son cratère fumant. Une cousine (ou plus exactement la cousine de mon père) nous avait loué pour une somme modique son appartement avec vue sur l’Etna d’un coté, et la mer de l’autre. Nous ne remercierons jamais assez Rita. J’avais découvert, enfin, la terre de mon nom. Celle de mon grand père. Nous avions d’ailleurs passé quelques jours avec lui, il nous avait guidé avec ses vieilles et néanmoins énergiques cannes, à travers les rues bouillantes de Catania. Il baladait Ivann, quatre ans à l’époque, dans ses bras noueux, au milieu du marché aux poissons, où des marins burinés par le soleil et le sel de mer criaient pour enrôler le chaland. Nous avions passé un moment incroyable, chez Stefano, son frère, il y avait son autre frère Isidoro. Les frangins, alignés côte à côte sur le canapé, se mirent à se chamailler comme des gosses avec toute la verve de vieux papys siciliens pour une sombre histoire de vieux souvenirs de théâtre ; ils vivaient dans leur enfance dans le sous-sol d’un théâtre à Catane. Un délicieux acte d’une pièce de théâtre que n’aurait pas renié Totò. Stefano et Nonno ne sont plus là désormais, laissant mes liens à cette terre comme orphelins. Le sang que l’on m’a ponctionné ce matin même en vue d’une injection d’immunothérapie vendredi, a bien une partie de son ADN sicilien. J’en suis toujours fier et orgueilleux. Ce nom que je porte, TROVATO (il vient des enfants abandonnés sur les perrons des églises lors d’une grande misère au XIXème, on les appelait i Trovatelli) est énormément répandu dans la province de Catane, dès qu’on le prononce, on devine d’où je viens. Parce que les choses sont toujours reliées par un fil invisible, j’ai découvert dans ma messagerie Face Book - dont ma bannière, d’ailleurs, est l’Etna fumant vu depuis la terrasse de Rita, et ma photo de profil nos quatre ombres dans la terre rouge fer du volcan – j’ai trouvé donc, un message de mon cousin Stephan qui vient de monter avec un ami de Sicile, une épicerie en ligne de produits locaux : le Panier Sicilien.

Nous avons encore pu le vérifier aujourd’hui, la Sicile offre effectivement une terre où tout pousse. Si le centre continue depuis l’antiquité a être un grenier à blé, les pentes de l’Etna grâce à la fertilité de sa terre nourrie par les cendres du volcan, est un jardin béni des Dieux Agricoles. On y trouve des agrumes au parfum inégalé, les réputées pistaches de Bronte, des huiles d’olives savoureuses, des vins aux cépages ancestraux, des légumes en abondance, des forêts d’amandiers, des cultures de figues de barbarie, sans oublier les produits de la mer, un élevage qui ne peut-être qu’extensif, des fromages comme le pecorino ou l’unique ricotta salata, et enfin les produits de la forêt comme les champignons ou les baies sauvages. La Sicile est un paradis pour les papilles, vous pouvez essayez de naviguer parmi ceux que proposent ce Panier Sicilien. In bocca al lupo Stephan.

 

 

Le Panier Sicilien

Toute l'authenticité de la culture culinaire Sicilienne, dans le respect des recettes traditionnelles, par des producteurs aux méthodes artisanales.

https://www.lepaniersicilien.com

 

9 mai 2018

Quatrième étape : Catania - Caltagirone (202km) Voir la Sicile et y revenir

VOIR LA SICILE ET Y REVENIR

 

Tout comme moi, beaucoup ont dû être surpris par les images de la RAI aujourd’hui. La course visitait les environs de Catane, allait se perdre dans la campagne sicilienne, une campagne que nous avions parcourue à l’été 2012. Les champs de pierres gorgés d’un soleil africain s’étendaient à perte de vue, la terre était terne, d’un beige pastel, les rares arbres offraient un maigre coin d’ombre aux chèvres faméliques, les épis de blé déjà fauchés s’accrochaient sur le sol asséché, donnant un teint jaunâtre au paysage. Ca et là, comme perdu en plein désert, une grande bâtisse isolée, entourée par quelques cactus rappelait la présence humaine. Séparés par de larges vallons, les villages se pointaient au sommet d’éperons rocheux, les maisons s’agglutinant les unes aux autres, dévalant les escarpements, dominés par les hauts clochers des églises, formant de pittoresques centres urbains. Cette terre d’une dureté invraisemblable nous offrait un spectacle fascinant, d’une beauté brute.

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Alors que le peloton commençait à lézarder sur les routes sinueuses en forme de montagnes russes, les images de la télévision nous montraient un tout autre paysage que celui que j’avais connu en été. Voilà que les terres dépouillées étaient recouvertes d’un manteau de verdure. Ces coins de savane s’étaient transformés en vastes espaces aux couleurs de l’Irlande. On découvrait sur les images une Sicile verte, radieuse, riante. Une Sicile d’une douceur toscane. La Sicile possède le talent d’un transformiste, réussit des tours de magie, fait disparaître dans son chapeau ses clichés sombres. Il faut pénétrer dans ses villages suspendus, se perdre dans leurs ruelles; flâner sur une des petites places surveillée par la façade s’une église baroque; se réveiller d’un café ristretto, qu’on pourrait servir dans une cuillère à café, mais qui reste ne bouche toute la matinée;  fondre de bonheur en se délectant d’une granità aux amandes, ces délicieuses glaces pilées dont les siciliens gardent jalousement les secrets de fabrication; écouter le silence du midi avec son murmure des cuisines qui vient légèrement troubler la quiétude de la rue, comme si on nous susurrait une fabuleuse histoire au creux de l’oreille ; oublier toutes règles de conduite quand la ville se met à bouger en fin d’après-midi, quand les températures baissent légèrement; sentir le vacarme des scooters s’épaissir à la nuit tombée, certains n’hésitant pas à monter en famille sur l’étroite selle, un casque pour quatre, c’est bien suffisant ; voir les habitants de tout âge se mêler dans un joyeux brouhaha, habillés comme pour un mariage, parce qu’en Sicile l’apparence est encore quelque chose qui compte énormément ; il faut pénétrer et rester une journée dans ses villages et ses villes pour tomber amoureux de cette terre, peu importe d’où l’on vient et où l’on va, on sait qu’on y reviendra. Enfin, il faut absolument participer aux fêtes siciliennes, quand on sort la statue de la Sainte dans les rues, quand on promène les reliques d’un Saint de la ville pour que chaque citoyen puisse sentir le lien qui les unit. Nous étions à Caltagirone, arrivée d’étape aujourd’hui, pour la San Giacomo, la fête du saint Patron de la ville. C’est un spectacle à ne pas manquer, baroque au possible, tellement anachronique, un peu comme les grandes processions qu’on peut voir en Espagne. Les reliques de Saint Jacques sont exposées aux habitants, faisant le tour de la ville sur un lourd autel porté par les hommes des différentes corporations de métiers.  La ville est dotée d’un immense escalier en céramique polychrome reliant la ville haute à la ville basse, qu’on illumine lors de cette fête avec de bougies, créant des dessins géométriques.

 

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Caltagirone comme beaucoup de villes de la région, est de fondation arabe, la forteresse de Cal’at Ghiran. La Sicile a toujours été une terre sous domination étrangère. Les colons laissant chacun leur empreinte dans le paysage urbain, les châteaux et autres forteresses. Un terrifiant tremblement de terre rasa littéralement toute la province, en 1693. Les villes étaient à terre, on reconstruisit à la mode de l’époque, un baroque tardif, qui vaut désormais à la plupart des cités le titre de Patrimoine Mondial de l’Unesco. Cela vaut aussi pour Caltagirone, et cette distinction n’est pas usurpée.

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De tremblement de terre, il n’y eu pas hier. Le parcours proposait tout de même plus de 3 000m de dénivelé, certes sans grands cols ou fortes montées. Ces difficultés pèseront lourd en dernière semaine, elles seront inscrites dans la chair des coureurs. Les coéquipiers de Fabio Aru ont bien tenté de faire exploser tout ça, à cent kilomètres de l’arrivée, sans parvenir à écarter qui que ce soit. Une belle tentative dont il faut saluer l’audace, même si les chances de réussite était bien maigre.

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Le peloton égrenait les villes baroques classées par l’UNESCO, dès le départ de Catane le ton culturel était donné, et si Israël nous avait étonné par son ferveur populaire, la Sicile n’était pas en reste. Les coureurs passaient parfois entre des haies de spectateurs aux pieds d’églises de toute beauté.

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Pas de grand tremblement de terre, pour preuve, Rohan Dennis a conservé sa seconde d’avance sur Tom Dumoulin, les principaux leaders finissant tous dans le haut du paquet. Les principaux, sauf Chris Froome,  qui ne semble pas au mieux sur ce début de Giro, chute oblige ? Il à lâché une poignée de secondes sur cette arrivée qui ressemblait , fortement à une Classique. Un mur d’un km avec des passages à 13%. De quoi ravir les fans des Ardennaises et leurs côtes abruptes. A ce jeu là, Tim Wellens, belge de nationalité, tiens tiens, a empoché le bouquet. Tout en puissance, il s’est arraché pour devancer un peloton morcelé, des coureurs arrivant un par un, à la queue leu leu. L’Etna que l’on gravira jeudi donnera plus d’enseignements, et peut-être déjà quelques écarts (même si l’an dernier il n’avait rien dit de concret, la montagne accouchant d’un souris). Je m’étonne des résultats de Pozzovivo, sans doute dans la forme de sa vie ; j’ai un œil bienveillant sur Davide Formolo, le très jeune leader de  Bora, dixième l’an dernier et qui veut progresser, 6ème sur une telle arrivée, ce n’est pas anodin ; Pinot reste très concentré et il termine avec les leaders qu’il se doit de surveiller ; Fabio Aru, même si dans une moindre mesure que Froome ne paraît pas au pic de sa forme, il s’agit peut-être d’une autre approche, il peine généralement en troisième semaine, on va éventuellement le retrouver virevoltant dans les Alpes ; et si Rohan Dennis, un peu à l’instar de Dumoulin l’année dernière allait nous étonner dans les grands cols ? Sa résistance tranquille sur cette côte peut le laisser imaginer ; et Tom Dumoulin ? Il nous fait du Dumoulin, facile et puissant, il attend son heure, pour moi il reste encore le favori numéro un, sans avoir eu besoin de sortir à découvert.

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Le Giro vu de mon canapé (2018)
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