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Le Giro vu de mon canapé (2018)
14 mai 2018

Neuvième étape : Pesco Sannita - Gran Sasso d'Italia (224 km) des petits cailloux au Gran Sasso

DES PETITS CAILLOUX AU GRAN SASSO

 

 

C’était une de ces journées pluvieuses de mai à ne pas mettre des cyclistes dehors. Pensez donc, les cols des Alpes qui dépassaient à peine les 1 000m d’altitude revêtaient un fine couche de neige. La télé muette déversait ses images dans la pièce où nous étions attablés autour des gâteaux d’anniversaire de ma fille Louna (12 ans) et mon neveu Alban (1 an). La pluie redoublait derrière les fenêtres et même le chat Grizou (hommage à la perle de l’Atletico Madrid) n’avait pas le goût de l’extérieur, tout en redoutant les cinq cousins surexcités et dopés aux Haribos.

Le Giro se pointait dans le ventre de l’Italie pour une première vraie étape de montagne, heureusement, le temps était bien plus clément qu’ici. Entre deux discussions avec mon frère Daniel sur les incidents du match - ce moment nous restera au travers de la gorge pendant un long moment – la beauté des paysages sautait aux yeux, pas forcément concentrés sur les coureurs. A lire les commentaires des réseaux sociaux d’après course, beaucoup de téléspectateurs ont été ravis par cette montagne méconnue. Même moi, je n’ai jamais mis les pieds dans cette partie de l’Italie qu’il faut savoir aller chercher. Si comme nous le disions devant la télé avec mon père et mon beau-père Bernard, le Gran Sasso d’Italia (le Grand Caillou) fait partie de la chaîne des Apennins, le relief n’a strictement rien à voir avec la douceur tranquille des vieux sommets de la colonne vertébrale de la péninsule. Ici, l’atmosphère est alpine. Les faces calcaires des sommets acérés, et notamment celle aux pieds de laquelle est jugée l’arrivée, à Campo Imperatore, est impressionnante de verticalité et n’a rien à envier à ces grandes sœurs des Dolomites. Avec ses hauts plateaux d’alpage d’une platitude irréelle, fermés à l’arrière plan par des pics qui harponnent les nuages, le Gran Sasso prend des accents de Mongolie.

 

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Les coureurs qui s’isolaient à l’avant ou perdaient pied à l’arrière, ressemblaient à des petits jouets, soldats perdus dans une bataille au décor de carton pâte. Après le vacarme des affrontements, le bruit infernal des pales des hélicoptères qui sur le Giro effleurent les coureurs, le klaxon entêté des voitures suiveuses, le vrombissement des moteurs des motos, le cycliste esseulé devait retrouver le silence assourdissant des espaces vierges.

 

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On peine à imaginer qu’à seulement une cinquantaine de kilomètres les plages de l’Adriatique étendent leurs bandes de sable paisibles. L’hélicoptère survolait des villages perchés, recroquevillés sur eux-mêmes, d’un charme austère. Qui a vu le film avec George Clooney « The American », se souviendra de l’atmosphère pesante de ces villages avec leurs étroites ruelles qui ont servi de cadre, et de « personnage », à ce thriller pesant. A Casteluccio, quand la Fioritura apparaît quelques jours dans l’année, la vaste plaine qui s’étend en contrebas du village se transforme en un camaïeu de couleurs éclatantes, créant un tableau impressionniste d’une étincelante splendeur.

 

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Pas de floraison aujourd’hui, nous sommes trop tôt dans la saison, et les seuls fleurs qui pointent leurs tiges doivent être les narcisses, crocus, ou autres perce-neiges.  Le peloton emmené à rythme soutenu s’effilochait sous le pas intensif des Astana. Drôle de tactique pour les hommes de Vinokourov, le manager général. Si leur maillot aux couleurs du ciel azur reste le plus beau de toutes les formations, il m’étonnerait que les Kazhaks aient mis leurs gregari à l’avant pour cette unique raison. Mais alors qu’elle est la volonté des bleus ciel ? Gagner l’étape, d’accord ! Il faut bien revenir sur ces quatorze fuyards partis dès le kilomètre zéro. Mais ils ne devraient pas être les seuls à rouler dans cette optique, plusieurs teams ont la même ambition. Puis, Miguel Angel Lopez devrait avoir le jump nécessaire pour tenter sa chance comme un grand dans la montée finale. Leur attitude ressemble étrangement à une équipe défendant un maillot de leader de l’épreuve, sans l’avoir. Daniel imagine même un coup de main monnayé à la Mitchelton-scott (je vais finir par ne garder que Scott, tant j’ai du mal à retenir l’orthographe de la première marque) par ce roublard de Vino. Je ne peux même pas accuser Daniel d’exagérer. Cet ancien coureur, bel attaquant, a tout de même une carrière sulfureuse. Inutile de revenir sur les faits de dopage avoués – « tout le monde faisait pareil » dirons les plus lucides, ou ceux qui cherchent excuse à tout – mais il a aussi été accusé d’avoir « acheté » sa victoire à Liège Bastogne Liège en payant son compagnon d’échappée. Le monde du vélo a ses règles que les règles ne connaissent pas.

 

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Au moment du Champagne, ou du Prosecco, quand les deux cousins soufflaient leurs bougies respectives, les coureurs entraient dans la partie la plus difficile de l’étape. L’ascension vers les névés était interminable. Quarante-cinq kilomètres toujours en prise, avec des longs passage de faux plat exposé au vent de face glacial qui soufflait des cimes. Le type de route à user le meilleur des roule toujours, une pente à jouer sans cesse du dérailleur, à ne pas savoir pourquoi on n’avance pas parce que ça ne monte pas tant que ça. L’œil rivé sur son computer de bord, Froomey dodelinait de la tête comme à son habitude, nous faisant penser, avec mon frangin, à Didier Léger, un ancien collègue de vélo, quand j’avais tenté d’en faire en compétition, à une époque la fête gagnait sur la pédale. J’ai essayé pour vous : faire du cyclisme sans s’entrainer, abusant de soirées se terminant à l’aube, comme pouvait le faire un Maradona au football, ça ne fonctionne pas. Je le dis crânement, j’étais bien plus increvable en soirées que sur le vélo. Avec ma maladie qui m’interdit d’en faire vraiment - si je parviens déjà à faire dix kilomètres je suis heureux - je rêverai par contre de me balader sur deux roues sur ces routes magnifiques, dans ce décor montagnard grandiose, avec mes acolytes cyclotouristes.

 

 

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Se balader, les échappés l’auraient bien voulu. Chérel, Brambilla, Berhane, Masnada, Boaro et Carthy s’étaient débarrassés de leurs compagnons en recherche de fortune, et allaient rapidement se chercher querelle entre eux. Avec 3’20’’ à l’entame des derniers 20km, dont les 7 derniers sont indiqués sur les topoguides comme les plus escarpés, la tâche s’annonçait délicate. Fausto Masnada, 24 berges, était le dernier des rescapés quand le groupe de favoris l’avala, à 3km du but, là où la pente se raidissait comme une saine érection matinale, là où les tâches blanches d’une neige tombée en surabondance cet hiver se faisaient plus larges, plus denses, plus hautes, et donnaient aux derniers hectomètres un décor parfait pour le dénouement d’une course jusqu’ici ennuyeuse.

 

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Il faut dire que les longues lignes droites totalement exposées aux rafales de vent descendues des nuages, n’incitaient personne aux suicide sportif. Masnada à la dérive, rejeté comme une épave par ce qu’il restait de peloton, le Giro décida soudain de donner ses premières vives émotions. Avec son maillot dont on devine à peine qu’il est Champion d’Italie, Fabio Aru se heurta le premier à son plafond de verre, qui semble de glace sur cette scène montagnarde. Terminés les faux décors de Cinecittà, quand on joue à plus de 2 000m d’altitude, les masques tombent, et l’on découvre la réalité des personnages. Incapable de suivre le train imposé par les cadors du moment, le sarde était distancé à la pédale, il laissa filer devant lui des coureurs qui vont simplement plus vite que lui aujourd’hui, et on en trouve pas moins de 23, trop pour qu’on puisse penser que Fabio reviendra dans le jeu. Et que vit-on presque simultanément ? Ce dégingandé de Chris Froome dans son style heurté, la tête vissée sur son cadre, ses épaules pagayant de gauche à droite de façon désordonnée, perdre la roue de son prédécesseur sur un bout de replat, incapable de descendre une dent, il laissa filer lui aussi le groupe de devant. Contrairement à Aru, il eut la chance de trouver avec lui, ses fidèles Poels et surtout Henao pour l’aider à contenir l’écart. Au final, l’italien esseulé dégage plus de courage et de force que le Kénian blanc, peu habitué à être dans cette situation défensive, il est devancé d’une seule petite place, et les deux perdent respectivement 1’14’’ et 1’07’’ (plus les bonifications) du vainqueur du jour.

 

Les deux favoris qui avaient bien animé le dernier Tour de France hors jeu, c’est le jeune et prometteur Giulio Ciccone, 23 ans, de la Bardiani, qui réveillait le public italien, que je représente ici sans aucune modestie, sonné par la faillite de son favori. L’espoir italien se démenait quelques mètres devant les cadors, vaillamment. Mais il n’y avait pas grand chose à faire face au vent. Je commençais un peu à m’agacer, bon sang, Froome et Aru dans les choux, qu’attendaient les Pinot et Pozzovivo pour creuser l’écart ? Mon père vint me rappeler sagement qu’ils étaient peut-être, eux-aussi, à bloc. Pinot, que j’apprécie par ailleurs - je ne sais même pas comment on peut douter de son talent brut, il a déjà prouvé ses capacités sur des courses difficiles -  Thibaut donc, prit enfin la course en main, il accéléra à la manière d’un Contador, contré par le minuscule Pozzovivo. Quand il comprit qu’il ne parviendrait pas à sortir les autres de sa roue, l’italien poursuivit tout de même son effort.

 

Cela faisait déjà un moment que la retransmission bégayait, un peu comme lors d’un match en streaming sur Rojadirecta ou sur FFTV, les images étaient hachées menues, mais au lieu de mouliner comme sur les ordinateurs, on nous mettait lors des coupures les images d’un joli village de montagne avec sa tour médiévale, et la place d’une petite ville avec le parvis de son église.  On a fini par les connaître. Je pestai contre la RAI et le peu de moyen de la télé italienne. Inadmissible de se faire humilier ainsi si l’on compare avec la réalisation du Tour de France, toujours impeccable. J’aurais bien fait un steak haché des responsables. Je me suis presque emporté contre papa, dans un réflexe patriotique de mauvaise foi, il osait dire que sur la RAI il ne devait pas y avoir ce problème. « Impossible papa ! Les images sont internationales, elles sont les mêmes partout ! » Sauf qu’une fois la course finie, parmi la litanie des commentaires acerbes, moqueurs, ironiques, voire un tantinet raciste, certains ont fait remarquer que sur Eurosport et sur la RAI, on avait bien vu les images de la course, sans coupures. A priori, c’était un problème de renvoi d’images sur la chaîne l’Equipe. Le sprint final donnait lieu à une scène surréaliste. Pour avoir les images, on avait trouver la solution : des caméras de l’Equipe filmaient l’écran géant de l’arrivée qui diffusant le direct de la RAI. « D’anthologie ! », comme disent certains.


Alors ce sprint ? Une formalité pour celui qui semble se balader littéralement en ce moment, et qui ne devra pas oublier de remercier les hommes au maillot bleu-ciel pour leur aide. En effet, le maillot rose mis le bout de son nez devant, à 100m du but, avec une accélération imparable. Simon Yates gagnait en Rose et empochait 10’’ de bonus, dernier cadeau surprise de la journée. Il devançait un Pinot qui tourne décidemment autour de la gagne, et Chaves, qui n’a pas encore abandonné l’espoir d’inverser la tendance au sein de la Scott.Yates semble intouchable aujourd'hui, s'étant débarassé finalement des deux rocs que semblaient être Aru et Froome, devenus de simples petits cailloux dans sa chaussure, le britannique hérite désormais de la pancarte du favori. Il faudra être fort pour le renverser. 

 

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Les autres au terme d’un sprint asphyxiant à cette altitude, perdaient une poignée de secondes ; Dans l’ordre Pozzovivo encore épatant, le jeune Carapaz encore présent, à 4’’, le surprenant Bennett, le très discret Dumoulin et finalement le grand battu Lopez, concédaient 12’’. Le vainqueur de l’épreuve après cette première semaine devrait se trouver parmi ceux-là.

 

En découvrant le classement détaillé, j’ai été surpris par la place de Davide Formolo, ce jeune italien que je surveille de prés depuis son beau Giro l’an dernier. Après une chute au pied de l’Etna, Formolo avait repris sa place dans le peloton, mais dès que la route s’était élevée, il avait perdu pied, lâchant tristement plus de 4’ dans l’ascension du volcan, le mettant hors course pour le podium. Il prit une belle deuxième place à Montevergine, seulement battu par Carapaz, mais l’étape était facile, elle ne donnait pas d’indication précise sur sa forme du moment. C’est pourquoi finir 6ème à 2 135m d'altidude à seulement 10’’ de Yates, est beaucoup plus significatif et laisse des gros regrets pour le classement général. Il lui sera sas doute difficile de revenir dans vers le haut du classement, mais Formolo pourra jouer son rôle de trublion dans une prochaine étape. Une source d’enthousiasme pour le tifoso un peu chauvin que je suis.

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