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Le Giro vu de mon canapé (2018)
28 mai 2018

Dernières étapes : Une spirale sans fin

UNE SPIRALE SANS FIN

DIX-NEUVIEME ETAPE : Venarie Reale - Bardonecchia (Jafferau) (181km)
VINGTIEME ETAPE : Susa - Cervinia (214km)
VINGT ET UNIEME ETAPE : Roma - Roma (118km)

Il m’aura fallu trois jours pour reprendre le clavier et tenter de résumer ces trois dernières étapes et les sentiments qui les accompagnent. En relisant les dernières lignes de mon précédent article, je ne peux que constater que j’avais eu le nez creux. Le Colle delle Finestre a bel et bien été le théâtre d’une étape hallucinante. Inutile de ménager un suspense anachronique, Christopher Froome est le vainqueur du 101ème Giro d’Italia. La malédiction Sky est abolie. Menacé d’être mis à la porte, Froome est revenu par les Finestre.

Je reviens à mes sentiments et j’ai du mal à les analyser, à les comprendre. A l’arrivée au-dessus de Bardonecchia, sur la petite route du Jafferau, alors que le monde du cyclisme assistait incrédule à l’un des plus bel exploit de ce sport, à l’une des plus incroyables batailles chevaleresques des Grands Tours, j’avais le ventre noué, et les larmes aux yeux. Je me sentais incapable de m’enflammer. Trop sonné par le déroulement invraisemblable de la course. Chistopher Froome avait réalisé une chevauchée digne des légendes de ce merveilleux sport. J’aurais dû convoquer des images en noir et blanc qu’un Jean-Paul Ollivier s’évertue à transmettre depuis 50 ans, et qui fatalement s’imprègnent en nous, comme si nous les avions réellement vécues. J’aurais dû comparer Froome aux Gino Bartali, Fausto Coppi, Charly Gaul. J’aurais dû le comparer à ces Campionissimi, tant les images de ce maillot blanc gravissant les pentes en terre du Colle delle Finestre, ce petit point blanc isolé au milieu de l’immensité démesurée de la montagne et de ses plaques de neige salies de boue, tâchées de terre, ressemblaient à ces vieilles images en noir et blanc.

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J’en ai été incapable, et cette incapacité à croire ce que je venais de voir, m’a submergé d’une immense tristesse. Tous les amoureux de la petite reine ont sans doute été touché comme moi. Cette victoire de Christopher Froome acquise après un raid solitaire de quatre-ving kilomètres, laisse un mauvais goût dans la bouche. Quatre-vingt kilomètres où le leader des Sky n’a jamais donné le moindre signe de faiblesse, malgré son attaque violente et son effort prolongé sur les 9km des routes non asphaltées du Colle delle Finestre, Cima Coppi à 2 178m ; malgré les 16km de faux plat montant vers le Sestrières où bien souvent l’homme isolé après les Finestre souffre dev sa solitude ; malgré les 20km en faux plat descendant de la vallée d’Oulx nécessitant l’emploi d’un énorme braquet ; malgré la remontée vers la ville frontière de Bardonecchia, 15 km où les coureurs ont emprunté l’autoroute du Fréjus, souvent vent de face ; malgré enfin, l’ascension finale, une pente de 7km autour de 9%. Jamais le britannique n’a paru perdre pied, finissant même mieux que ses poursuivants. Cette impresa d’une autre époque m’a laissé pantois, et l’atmosphère est devenue de plus en plus pesante, voire malsaine.

 

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Aurais-je eu le même sentiment si un Vicenzo Nibali avait dominé de la même façon ? Après tout, lors de sa dernière victoire en 2016, il avait fait basculer le Giro en deux jours. Certes, l’exploit était de taille, mais il n’avait face à lui qu’un très jeune Kruijswijk – dont la chute dans le Col Agnel le condamna, et encore plus tendre Chaves qui ne pouvait pas rivaliser dans la Lombarde avec un Nibali toujours coriace en troisième semaine. N’empêche, il faut se poser la question, au moins pour ne pas sombrer dans la mauvaise foi et tenter de rester intellectuellement honnête – ce qui est très difficile quand on parle de sport, la subjectivité étant la norme.
C’est pour ne pas écrire sous le signe de la frustration que j’ai attendu aujourd’hui pour publier cet article – pour d’autres raisons également par ailleurs.

Après tout, Yates cette année, comme Tom Dumoulin l’année dernière, ont eux aussi été soupçonnés de tous les maux. Le problème d’un Christopher Froome c’est qu’il domine tellement les courses à étapes, avec cette faculté à être « scientifiquement » prêt le jour J, que son règne agace, perturbe, énerve. Ce qui n’est pas nouveau, tous les grands ont eu leurs détracteurs, mais Froome arrive après les années Lance Armstrong et les amateurs ne sont pas disposés à revivre les mêmes errements. Nous sommes tous dans l’expectative de savoir où ranger le natif du Kenya. Dans le Panthéon du cyclisme, surtout après la démonstration ahurissante des Finestre, ou dans le camion poubelle aux côtés des américains Armstrong et Landis – même si bien d’autres pourraient gravir les marches de ce véhicule ?


Ce doute nous ronge, nous prive des émotions que l’on aurait du avoir. On nous vole notre passion. Cette victoire dans la controverse est d’autant plus terrible pour ce sport, que les suiveurs s’accordaient ces derniers temps pour louer les efforts qu’avait fait le monde du vélo pour légitimer les performances. Cette soudaine et nouvelle suspicion est un véritable coup d’arrêt pour sa crédibilité. Je n’ose même pas imaginer que certains puissent éventuellement tricher avec un moteur... ce serait la mort de ce sport. Il y aura toujours des gens sur le bord des routes, bien entendu, mais un peu comme il y a du public pour un match de catch, ou pire, on viendra toujours camper pendant des heures sur un bout de bitume comme on va voir le défilé du 14 juillet. Le vélo sera devenu un spectacle traditionnel, une fête nomade, un festival itinérant, on oubliera la dimension sportive de l’événement.


Et pourtant... dans l’étape reine de Bardonecchia, après l’abandon loin des caméras de Fabio Aru, on a souffert le martyr avec Simon Yates, l’accompagnant dans sa dérive. Parce que Yates avait encore le maillot rose bien accroché sur son dos quand les premières pentes delle Finestre se sont présentées sous ses roues. Les Sky étaient déjà en tête du peloton et étiraient le groupe en file indienne. Aussi soudainement que ses attaques sont franches et sèches, Simon Yates perdit contact avec le peloton encore bien fourni. Un mètre, puis trois, puis dix, puis...le néant, celui qui se baladait sur une jambe pendant deux semaines était désormais relégué au rang d’un médiocre grimpeur. Il ne donnait même pas l’impression de se battre, il se résigna immédiatement, perdant presque une minute au kilomètre. Comme son coéquipier Chaves à Gualdo Taldino, Yates s’enfonça dans les profondeurs anonymes du classement. 38mn à Jafferau, 45mn le lendemain à Cervinia. Maillot rose à 48h de la fin du Giro, il finit 22ème à 1h 15’.

 

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Froome élimina sans effort un premier adversaire. C’est le français Elissonde qui mit le britannique sur orbite, une dernière accélération sur les premières mètres de sterrato et Froome mit en route son frullino. Dumoulin sortit de sa roue le dernier, la cadence de Froome était trop élevée. Bye bye l’extra-terrestre, ils le reverront sur le podium.

 

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Pozzovivo s’essaya aussi à suivre un moment, mais il était en surrégime, il s’écrasa sur son vélo, et laissa filer devant lui un petit groupe. Tom Dumoulin, les deux sudaméricains Lopez et Carapaz qui se sont sans doute fiancés durant ce Giro tant ils se sont marqués à la culotte pour la lutte pour le maillot blanc, et les deux FDJ, le suisse Sebastian Reichenbach et son leader Thibaut Pinot retrouvé. C’était une belle surprise de voir le français survolté, animé par une volonté hors norme, conscient d’être acteur d’une étape d’anthologie.

 

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Pozzovivo, sans véritables alliés, sans véritable panache non plus, se résigna rapidement dans la remontée poussive de Sestrières. On le vit se garer en queue du petit peloton dans lequel il naviguait à deux minutes du groupe Dumoulin, s’en était terminé pour ses ambitions de podium. Son manque d’abnégation lui coûta peut-être ce rêve. Le lendemain, à l’arrivée de Cervinia, il se reprit et termina avec les meilleurs.

Le Val D’Aoste enterra les ambitions de Thibaut Pinot. Lui qui fut tellement preuve de bravoure la veille, ne résista pas à la dernière étape exigeante de l’épreuve. Dans le col de Saint-Pantaléon, avant-dernier du Giro, le français qui était encore troisième du général grâce à son exploit de la veille, s'écroula brutalement. Littéralement à l’agonie, titubant sur le vélo comme un homme ivre, termina l’étape dans le grupetto, tellement loin des derniers survivants du général. Les images furent difficiles à voir, sa défaillance restera une tragédie indélébile de cette course. On avait mal pour lui. A bout de force, son corps le lâcha, il fut hospitalisé le soir même pour une forte fièvre et une déshydratation. Comment ne pas saluer ce garçon qui est allé au bout de soi, dépassant ses limites. Parfois, c’est aussi cela le vélo. Ce brusque anéantissement des forces.

 

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Presque au même moment, c’est un autre Pino qui a été hospitalisé. Mon père est encore à l’hôpital. Vous imaginez mon inquiétude, c’est aussi la raison pour laquelle j’écris cet article un peu tard. Mon père, c’est celui qui m’a inculqué cet amour du vélo, je me suis nourris de ses récits sur les Géants de son époque, ceux que je n’ai pas pu voir mais qui existent dans mes souvenirs grâce à lui. Papa malgré cette descente aux enfers du vélo, est toujours resté un fidèle et averti spectateur, et si l’enthousiasme du supporter s’est un peu envolé dans les limbes de l’EPO, il n’en a pas moins toujours été admiratif de ces hommes qui font l’un des sports les plus difficiles qui existent. Pinot en est l’exemple parfait. Je suis un peu fébrile en écrivant ces mots, espérant un rapide rétablissement à papa, on a encore quelque courses à commenter et à voir ensemble. Nos discussions vélo sont un des rouages de mon moteur intime, elles me servent à huiler ma machine, qui en a bien besoin tant elle peut se gripper.


Mais revenons sur l’étape des Finestre. Froome caracolait sur les sentes boueuses du col, il apercevait à chaque lacet, le groupe des cinq un peu plus bas. On avait beau douter, on ne pouvait que s’émerveiller du spectacle. La montagne accouchait d’une dramaturgie à son paroxysme, elle multipliait les intrigues. Car Froome n’avait qu’une quarantaine de secondes d’avance à la Cima Coppi.  Le problème pour Dumoulin et Pinot, c’est que Carapaz et Lopez, ne voulaient pas collaborer dans la poursuite contre Froome, obnubilés par leur marquage.

Surtout, Sebastian Reichenbach, s’il devait être précieux pour Pinot et du même coup Dumoulin, s’est avéré un piètre descendeur. Le hollandais admit avoir commit une erreur à l’attendre, selon lui, il descendait comme une « vielle grand-mère ». Pris au piège par le jeu maléfique des deux jeunes sudaméricains, Pinot de peur de se faire contrer au final, s’échappa lui-aussi des relais petit à petit. Il n’y avait donc plus que le suisse et le hollandais pour rouler derrière le britannique. Les tergiversations et autres ont fait gonfler l’avance de Froome, là où logiquement, il aurait du perdre du temps. Il entama donc la dernière difficulté avec plus de 3mn d’avance, qu’il parvint à conserver malgré les accélérations des Carapaz, Lopez et Pinot. Dumoulin se contentant intelligemment de monter au train ; de lisser son effort. Mais il manqua à Dumoulin quarante secondes pour s'emparer du maillot rose. Peut-être le temps perdu à attendre le trop tendre Reichenbach.

 

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Dumoulin fit tout de même honneur à son rang lors de la dernière ascension du Giro, la longue et monotone montée vers Cervinia. Sur des pentes qui lui conviennent, Dumoulin tenta plusieurs fois d’accélérer, de sortir Froome de sa roue ; mais c’était lui demander de gravir le majestueux Cervin qui les dominait, en sandales. L’anglais répondait du tac au tac, se reportait vers l’avant, montrant qu’il était imbattable. Un dernier coup, Dumoulin debout sur les pédales mit toutes ses dernières forces dans la lutte, quand Froome le contra, on le vit secouer la tête, se soumettre, abdiquer. Nos encouragements devant la télé avec Ivann n'y feront rien. S’en était terminé de la bataille, Froome empochait le pactole, se permettant même de sprinter  pour une 6ème place, pas la meilleure façon d’honorer son rival.

 

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Dans le match un éxaspérant entre Carapaz et Lopez, deux coureurs toutefois promis à un bel avenir dans les courses à étapes, c’est le colombien qui rafla la mise. Carapaz, enfin à l’attaque, ne réussit pas à sortir Lopez de sa roue, et suite à l’effondrement dramatique de Pinot, il était invité sur le podium du Giro, avec étonnement et sans coup d’éclat.

A Cervinia, le basque Mikel Nieve, dernier survivant d’une longue échappée, consolait par une victoire l’équipe de la Mitchelton-Scott, orpheline des ses deux leaders écartés de la course au maillot rose.

 

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Mon protégé Formolo terminait le Giro à une nouvelle 10ème place. Il pouvait encore regretter sa défaillance sur le volcan sicilien. Maintenant qu’il a prouvé sa régularité et sa capacité à tenir les trois semaines, il lui faudra désormais peser sur la course, l’influencer.

 

Influencer la course. Pour Froome, c’est un sacerdoce. Lors de la parade finale dans les rues sinueuses de Rome, sur un circuit faisant la part belle aux merveilles de la cité éternelle,  le sympathique Froomey s’est transformé en Empereur tout puissant. Estimant le circuit trop dangereux, en patron tout puissant il parvint à faire geler les temps de la course à sept tours de la fin.

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Un petit peloton avec les hommes du général fit alors une promenade touristique dans les rues de Rome, plus de 10mn derrière les équipes qui disputaient une sprint enlevé de haute lutte par Sam Bennett, devant un Viviani qui manquait tout de même la plus belle.

 

 

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Drôle de final ! On était pas loin d’une mascarade. S’il en fallait encore, cette péripétie ressemblait à la goutte d’eau faisant déborder le vase. Ce maillot rose avait si peu d’éclat que l’allégresse finale se transformait en amertume générale. Les larmes de joie de Chris Froome avec le trophée du Giro sont-elles sincères, garantissent-elles la réalité des forces en présence ? La coupe du Giro, cette spirale sans fin que le vainqueur tenait dans ses mains est le symbole le plus absolu de ce qu’est devenu le cyclisme, une spirale de doutes sans fin...

 

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Au même moment, je souffrais avec tous les grenoblois pour conserver ce petit et minuscule but d’avance qui allait envoyer le GF 38 en Ligue 2, après deux matchs de barrage suffocants. Enfin, une nouvelle réjouissante et réelle dans ce week-end d’incertitudes. Malgré les débordements du Stade des Alpes, j'étais encore à vibrer devant le match ; j'imagine que lorsque le peloton passera près de chez moi, pendant le Duaphiiné Libéré, je serai sur le bord de la route... à applaudir... comme dans une spirale sans fin...

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