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Le Giro vu de mon canapé (2018)
18 mai 2018

Douzième étape : Osimo - Imola (213km) Des fantômes comme s'ils en pleuvaient

DES FANTOMES COMME S'ILS EN PLEUVAIENT

Il y avait peu à attendre de cette étape de plaine. La course s’octroyait une journée tranquille dévolue aux sprinteurs, dans une longue et ennuyeuse remontée le long de la côte adriatique. Cela tombait bien, c’était ma journée à Grenoble. Depuis la rentrée septembre, j’essaye au moins une fois par semaine de descendre au bureau, histoire de relever le courrier, de me rendre à des rendez-vous de travail, ou comme hier, de faire une petite bouffe avec les collègues et même mon boss. Je ne sais jamais comment interpréter ces journées. Autant je suis heureux de me déplacer à nouveau, de pouvoir conduire sans trop de difficultés - sinon une certaine somnolence dûe au médicaments dont il faut se méfier – autant, quand je rentre en fin d’après-midi avec des douleurs intenses et une énorme fatigue, mon moral s’affaisse. Parce que c’est là que je prends réellement conscience que je suis loin, très loin, d’être remis. S’il faut être objectif, je peux admettre que ma santé est indéniablement meilleure aujourd’hui qu’hier, et pour le moment chaque jour me rapproche un peu plus d’une vie à peu près normale. Mais le cerveau n’étant pas toujours aussi rationnel qu’on le voudrait, tout le monde constate que le soir de ces virées grenobloises me plongent dans un spleen mi- mélancolique, mi- colérique.

 

Je n’ai donc vu que la fin de la course qui s’est terminée sur le circuit de Formule 1 de Imola.

 

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Cette mélancolie m’aurait sans doute submergée si j’avais vu les coureurs passer par Rimini. Il y a quelques fantômes qui rôdent dans le coin. Peut-on ignorer la présence de Marco Pantani, né à Cesena, mort à Rimini, et qui repose à Cesenatico, sa petite ville sur les bords de l’Adriatique. La dévotion du monde du vélo pour ce personnage reste une énigme à mes yeux. Son souvenir est partout sur les routes, et sans exagérer ( sans Masseratiser – seuls les cousins savent) il y a plus de tifosi de Marco Pantani que de supporters des champions du moment. Quatorze ans après sa disparition, l’Italie - mais ailleurs également - n’a pas remplacé l’icône. Il existe un vrai mystère Marco Pantani. Car enfin, le bonhomme était loin d’être un gendre idéal, il est tout de même mort d’une overdose de cocaïne, il est tout de même avéré qu’il a participé à la supercherie du vélo des années 90. Alors comment ce dopé drogué a pénétré le cœur des gens comme une espèce de Christ crucifié sur la croix ? On aime Pantani et on l’excuse, comme si sa façon de vivre lui avait était imposée et qu’il n’avait pas eu le choix de refuser ces tentations ? Il incarne sans doute la mauvaise part de nous-mêmes, on se pardonne à travers lui. Pantani avait l’humanité pour lui, cette fragilité qui fait les grands héros, il avait l’insolence de ceux qui en ont bavé pour arriver là, de ceux qui ont bravé le sort, l’ont vaincu, L’inverse du robotique Lance Armstrong. Alors que l’américain dégageait une morgue arrogante, ce mépris s’est retourné contre lui. Il a eu aussi le tort... de ne pas mourir.

 

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Pour d’autres raisons, la mort, décidemment implacable dans le coin avec les surhommes, a emporté Ayrton Senna sur le circuit d’Imola en 1994. Qui peut oublier le terrifiant accident du Brésilien dans une courbe du circuit que vont emprunter les coureurs en fin d’étape ? Cet événement a marqué toute une génération, même ceux insensibles aux charmes des gros moteurs. Lui aussi est devenu une icône, adulé de son vivant, vénéré à sa mort.

 

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Le Giro, après ces deux journées menées tambour battant, ne voulait pas corser un peu plus son parcours à deux jours d’un gros week-end montagneux. Les organisateurs ont laissé de côté les côtes et bosses où s’entraînait le pirate.

 

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Après avoir abandonné les deux roues pendant mes années cheveux longs idées en cours, j’y suis revenu par le biais de ma famille. Petit à petit, kilomètres après kilomètres, je me suis remis sur la selle. Je me souviendrai toute ma vie de cette première sortie avec mon père et François (un de mes oncles). Nous avions roulé gentiment sur les berges de l’Isère, à plat. Nous n’avions fait qu’une seule bosse, un vrai pont de chemin de fer, littéralement. J’avais encore mon Pinarello bleu et les pignons d’un dernier vire-vire. J’ai été incapable de le passer sur les pédales, pendant que mes deux compagnons se marraient de mon niveau. J’ai insisté, et progressé par la suite. C’est ouverte alors l’une des plus belles périodes de ma vie, avec le club de cyclotourisme du Conexe. Notre famille (nombreuse) s’est investie massivement dans le club. Noël (un autre de mes oncles) en était le Président. Toute la famille en faisait partie : les frères Ennio, Lucien, Sylvain, François (mes oncles), mes cousins Pascal, Nicolas, Patrick, Jonathan, mon frère Daniel et moi, et les « femmes » qui pour certaines sont montées aussi sur le vélo : maman, Joëlle, Nelly ; accompagnés également d’amis qui étaient (et sont encore) comme notre famille, je pense à Philippe, Béatrice, Manu, Edward, Richard et Michel. Il y avait aussi tout ceux « qui ne roulaient pas »,  des tantes encore, des cousins, des amis des oncles et tantes et des cousins ;  des gens biens, qui donnaient de leur temps et de leur joie de vivre pour faire vivre le Club, surtout le jour des « Corniches du Drac », une randonnée cyclotouriste que le Club organisait annuellement. Je suis sûr que j’en oublie et je m’en excuse par avance.

 

Je ne sais pas comment l’expliquer, mais ces journées passées sur le vélo en roulant avec ces amis et surtout, les membres de ma famille, sont des moments de plénitude absolue. On roulait ensemble, dans le vrai sens solidaire du terme. On aidait celui qui n’était pas bien, on encourageait celui qui en chiait dans les cols, on rassurait celui qui n’avait plus rien dans les guiboles en fin de journée ; on se tirait la bourre aussi, on se faisait des sprints, on se bagarrait, même si chacun savait qui était le plus fort. Quand on mettait en route le « train bleu » ou même quand on roulait au pas, en groupe, sur la montée d’un col pour ne pas faire décrocher le moins fort d’entre nous, j’étais aux anges, j’avais cette sensation d’appartenir à une tribu, un clan, un groupe, bref, une famille... et c’était le cas. J’ai des flashs qui me reviennent parfois, des instantanés des ces sorties, parfois de ces longues randonnées. Bien sûr, cette descente à Bedonia sur trois jours, épique ; mais aussi une randonnée vers Annecy, sous la pluie battante, où dans un col on avait formé un petit peloton rien qu’avec les membres de la famille :  Noël, Sylvain, Patrick, Nico peut-être, mon père, Daniel et moi... j’en oublie peut-être. Cette énorme journée sous la flotte - décidemment – au Cinque Terre, avec François, Sylvain et Papa. Les différentes Ardéchoises aussi. Je faisais du vélo par pur plaisir, avec des gens que j’aime, et je mesure aujourd’hui la chance que j’avais. Comme disait l’autre, merci pour ces moments.

 

Le Club venait aussi dans les parages de Cesenatico, à Cervia je crois, pour une petite semaine de vacances. Je n’ai jamais eu le plaisir de venir mais j’ai toujours eu l’impression d’y avoir été, grâce aux récits amusés des participants. Le Club y a écrit sans doute ses plus beaux souvenirs. Quand je pense à Cervia, je pense à mon oncle Ennio. Son fantôme rôde aussi sur cette fin d’étape. Ennio était peut-être le plus passionné d’entre nous. Il n’avait jamais trop fait de vélo pourtant, loupant le train de ses frères et beaux-frères quand ils se sont vraiment mis à rouler sérieusement. Puis il eut quelques ennuis de santé sérieux. Pourtant, Il faisait tant bien que mal quelques sorties et s’investissait totalement pour le club. Je ne peux que revoir ses yeux pétillants, son bonheur total, quand il racontait une anecdote, parfois ressassée cent fois, de ses séjours en Italie. Il aimait le vélo comme aucun autre. Il venait me voir quand je courrais, mais c’est avec son gendre qu’il fut le plus fier, Jean-Marie était un très bon coursier, et Ennio était fier de lui. Majestueusement fier... il a transmis cette passion à sa fille Angélique qui était devenue commissaire. Elle va d’ailleurs venir manger à la maison avec son compagnon samedi, l’occasion de voir la course du Zoncolan ensemble, et de nous perdre dans le dédale des souvenirs.

J’ai une vague de nostalgie qui me submerge en me remémorant ces années. Le Club pour quelques bisbilles entre membres, sans rapport avec le vélo, s’est mis à péricliter. Avec mon nouveau rôle de père, et notre exil à soixante bornes de Grenoble, je roulais moins en groupe, et même moins tout court. Je commençais à peine à retrouver la joie du vélo en groupe, avec Pascal, François, Daniel et mon père surtout, quand j’ai appris mon cancer qui m’a cloué sur le canapé. Je faisais encore une rando, La Drômoise, en septembre 2016 ; en décembre j’ai appris ma maladie et mes douleurs osseuses m’ont rapidement interdit tous mouvements.

C’est ce qu’auraient aimé faire les Quick-Step en direction d’Imola afin de lancer leur bolide vers une nouvelle victoire. Mais le moteur d’Elia Viviani semble grippé. A une trentaine de bornes d’Imola, le peloton rincé par une averse orageuse s’était scindé en plusieurs groupes, piégeant des pointures comme Viviani mais aussi Pozzovivo, Carapaz ou Georges Bennett. Si les prétendants au général parvinrent à s’en tirer, quand je pris le direct, Viviani s’ébrouait tout seul sur le macadam du circuit devenu bien trop large pour lui. Cela dit, avec cette bosse de 4km, avec un passage à 10%, placée juste avant la ligne d’arrivée, il n’est pas certain que le sprinteur italien ait pu tenir le rythme des leaders.

 

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Parce que sous la flotte, on vit Carapaz, sans doute vexé, Pinot ou encore Yates aux avant-postes. Tim Wellens avait tenté une nouvelle fois l’évasion gagnante, mais les actions des costauds le condamnèrent. Dans la descente, on vit Mohoric fuser sur le goudron détrempé revenir comme une balle sur les puncheurs, Ulissi et Betancur, partis dans la bosse, il ne garda avec lui que le prometteur colombien, mais les deux durent se rendre à l’évidence. Les 50 rescapés du peloton leur soufflaient dans la nuque. A 500m, Sam Bennett accéléra de manière irrésistible, sa puissance fit une énorme différence, reléguant ses adversaires surpris, à plusieurs longueurs. Dans l’ordre Van Poppel et Bonifazio.

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Il pouvait lever les bras dans le ciel sombre d’Imola, récupérant un baiser amoureux de sa brune compagne dans l’aire d’arrivée et une accolade furieuse d’un Davide Formolo aux anges. Sam Bennett égalisait le score de Elia Viviani et Simon Yates. Surtout, il revenait à 22 petits points du maillot cyclamen, relançant le match avec l’italien, désormais en danger.

 

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